Les Chiens de Mer élisabéthains, corsaires au service de sa Majesté

Au 16e siècle, de nombreux pirates venaient de la haute société, ce qui ne les empêchait pas de traquer les butins espagnols en haute mer tandis que la reine Élisabeth Ire faisait mine de ne rien voir.

De Jamie L. H. Goodall
Publication 27 nov. 2024, 11:51 CET
Ce tableau représente la défaite de l’Armada espagnole par la Royal Navy en 1588. Les Chiens ...

Ce tableau représente la défaite de l’Armada espagnole par la Royal Navy en 1588. Les Chiens de Mer élisabéthains, commissionnés par la reine Élisabeth Ire, officiaient en tant que corsaires placés sous son autorité et ciblaient les flottes espagnoles.

PHOTOGRAPHIE DE The History Emporium, Alamy Stock Photo

L’histoire de la coopération officielle entre chefs d’État et pirates est longue et souvent sordide. Les Chiens de Mer élisabéthains font à ce titre figure d’exemple remarquable et renseignent sur le visage de la piraterie atlantique au 16e siècle. Commissionnés par la reine Élisabeth Ire (r. 1558-1603) afin de renforcer la présence navale dans la région, ils jouèrent un rôle important dans le développement de l’Atlantique anglais et se taillèrent une réputation vile auprès des Espagnols dont les flottes étaient leurs principales cibles.

Les Chiens de Mer officiaient en tant que corsaires soumis à l’autorité de la reine. Toutefois, deux choses distinguaient les Chiens de Mer et autres corsaires des pirates : le côté de la barrière duquel ils se trouvaient et une lettre de marque. Une lettre de marque, délivrée par la couronne, rendait le pillage de navires espagnols techniquement légal selon la loi anglaise bien que les deux pays ne fussent pas officiellement en guerre ; mais les Espagnols voyaient cela d’un autre œil, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans le cas des Anglais, une lettre de marque n’était d’ailleurs pas toujours nécessaire.

Les tentatives de réguler la piraterie à l’ère élisabéthaine furent à tout le moins timides. Tant que l’attaque avait lieu sur des navires étrangers, en particulier sur des bâtiments espagnols, la couronne avait tendance à passer outre l’absence de lettre de marque. Ceci valait particulièrement pour la noblesse et les fonctionnaires du West Country anglais. Bien que ces derniers eussent pour tâche officielle de lutter contre la piraterie, il n’était pas rare qu’ils fassent libérer des pirates présumés ou qu’ils ne les appréhendent tout simplement pas du tout. Aux yeux de nombreux sujets anglais, les actes des Chiens de Mer étaient patriotiques, car il s’agissait d’un moyen de promouvoir la religion protestante et de consolider la Royal Navy alors en pleine croissance. En revanche, les Espagnols ne voyaient en ces hommes que des pirates et les traitaient en tant que tels devant leurs tribunaux.

Gravure montrant la reine Élisabeth Ire rejoindre Sir Francis Drake sur son bateau, en 1581, après son ...

Gravure montrant la reine Élisabeth Ire rejoindre Sir Francis Drake sur son bateau, en 1581, après son fructueux tour du monde qui l’a vu revenir avec un navire chargé d’épices.

PHOTOGRAPHIE DE Hulton Archive, Getty Images

 

PARRAINAGES INTERLOPES

Si toute personne mue par une soif de pillage et disposant d’un navire pouvait solliciter un parrainage auprès de la reine Élisabeth Ire ou une commandite auprès d’investisseurs, d’entreprises ou d’actionnaires afin d’aller s’attaquer aux bâtiments espagnols, ceux qui prenaient effectivement la mer venaient généralement des échelons les plus hauts de la sociétéSir Francis Drake (1540-1596), Sir John Hawkins (1532-1595), Sir Martin Frobisher (vers 1534-1594), Sir Walter Raleigh (vers 1554-1618) et d’autres Chiens de Mer éminents naquirent dans la noblesse ou y furent élevés.

Grâce à leurs antécédents et à leurs liens avec le monde maritime, ils développèrent un savoir-faire en matière de pillage en haute mer qui donna naissance au phénomène de la « piraterie discriminatoire ». Ils officiaient dans l’ensemble du monde atlantique, en particulier entre les colonies espagnoles du Nouveau Monde. Les Espagnols affublèrent ces corsaires du surnom de Chiens de Mer, ne les considérant comme rien d’autre que des corniauds exécutant les ordres de leurs maîtres.

En tant que corsaire, le profit n’était pas garanti ; à vrai dire, sur un navire de corsaires, il était très rare que l’équipage gagne un salaire. On y fonctionnait en réalité selon le système du « prey for pay » (« chasser pour gagner ») par lequel l’équipage recevait une fraction des biens pillés durant leur assaut. Ce système incitait à la capture de navires battant pavillon de quelque nation que ce soit, y compris de la sienne.

Lorsqu’elles n’étaient pas soutenues par la reine Élisabeth Ire en personne, les entreprises des Chiens de Mer étaient souvent parrainées par des tiers, ce qui permettait à la couronne de prendre ses distances avec les corsaires tout en continuant à renforcer les intérêts nationaux. Le périple de Thomas White sur la côte des Barbaresques en 1560 fait à ce titre figure d’exemple parlant. Faisant fi des directives de son sponsor, il s’empara de deux bateaux-trésors espagnols transportant de l’argent en provenance des colonies américaines de l’Espagne et les ramena en Angleterre. À Londres, forcées de constater la profitabilité de l’attaque, les autorités fermèrent les yeux sur l’absence de lettre de marque et sur l’acte évident de piraterie qui avait été commis, ce qui permit aux investisseurs de Thomas White comme au gouvernement anglais, à qui revenait de droit une part du butin, de bénéficier de la décision unilatérale du pirate.

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    PHOTOGRAPHIE DE Universal History Archive, Universal Images Group via Getty Images

     

    SUCCÈS DE CORSAIRES

    Tous les efforts faits par la couronne espagnole pour fortifier ses ports coloniaux n’empêchèrent pas les Anglais de faire des incursions sur le territoire de Philippe II. Sir Francis Drake fit des Espagnols l’une de ses cibles de choix et s’en prit à leurs points les plus vulnérables.

    En 1572, il embarqua avec l’idée de faire main basse sur Nombre de Dios, importante ville du Panama occupée par les Espagnols où des trésors d’argent et d’or étaient apportés du Pérou afin d’être récupérés par les flottes de Philippe II. Il y arriva accompagné de soixante-treize hommes seulement répartis sur deux vaisseaux, le Pascha et le Swan. Il tenta de capturer la ville mais fut blessé à la suite d’un accrochage avec une milice espagnole locale et fut contraint de battre en retraite avec ses hommes. Il demeura toutefois dans la région tout au long de l’année qui suivit et joignit même ses forces à celle du boucanier français Guillaume Le Testu afin de s’emparer de 20 000 livres Sterling en or et en argent en dévalisant un train muletier.

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    PHOTOGRAPHIE DE New York Public Library, Science Source

    Cet article a été adapté de l’ouvrage Pirates de Jamie L.H. Goodall. Copyright 2023 © National Geographic Partners, LLC.

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