Quand Napoléon conquérait l'Europe, sa sœur Pauline conquérait les cœurs
Pauline Bonaparte, sœur cadette de Napoléon, s’est tenue à l’écart de la vie politique et militaire. Connue pour ses conquêtes d’un autre type et pour sa beauté, elle a préféré une vie d’aventures amoureuses.
Pauline Bonaparte, posant ici à côté d’un buste à l’effigie de son frère, Napoléon, sur un portrait de Robert Lefèvre, était célèbre pour sa beauté et passait la majeure partie de son temps à essayer de la préserver et de la sublimer. Elle fut une faiseuse de mode amoureuse des pierres précieuses et arborait des coiffes et des robes ornées de bijoux. Elle était connue pour porter des robes on ne peut plus fines ne laissant aucune place à l’imagination. Sa routine de beauté quotidienne incluait un bain de lait pour adoucir et blanchir la peau. Selon une anecdote, en visite un jour dans une maison ne possédant pas de douche, Pauline, nullement déconcertée, exigea que l’on perce un trou dans le plafond par lequel elle demanda qu’on lui verse du lait pour sa toilette.
Pauline Bonaparte, sœur cadette de Napoléon, était celle que l’empereur préférait parmi les sept membres de sa fratrie. Et elle fut la seule à ne jouer aucun rôle dans ses manœuvres politiques. Voyant ses frères et sœurs placés sur des trônes dans toute l’Europe, Pauline aurait eu ce mot : « Peu m’importent les couronnes. Si j’en avais voulu une, je l’aurais eue ; c’est un faible que je laisse aux membres de ma famille. »
Née à Ajaccio le 20 octobre 1780, Pauline Bonaparte fut le sixième des huit enfants qu’eurent l’avocat Charles-Marie Bonaparte et Maria Letizia Ramolino. Plutôt que de refondre la carte politique de l’Europe, Pauline opta pour une vie d’aventures amoureuses. Elle mit sa beauté et son audace à profit afin de conquérir une myriade d’amants et, malgré les scandales, gagna l’admiration du beau monde européen qui voyait en elle une icône de mode.
« Peu de femmes savourèrent plus le plaisir d’être belle », écrivit le général français Louis-Stanislas de Girardin à son sujet. Pour Napoléon, elle était « la meilleure créature vivante » et « la seule à ne jamais rien demander ». Quoique frivole et désœuvrée, Pauline n’en est pas moins loyale et courageuse. Elle est la seule de sa fratrie à rendre visite à Napoléon (et à l’aider financièrement) lors de son exil sur l’île d’Elbe en 1814 après l’échec de la campagne militaire de Russie. Lors de son second exil, à Sainte-Hélène, après la défaite de Waterloo, Pauline ira même jusqu’à demander à passer du temps avec lui sur cette île reculée du sud de l’Atlantique.
UNE FAMILLE EN OR
Malgré la mort de son père lorsqu’elle n’a que cinq ans, Pauline est élevée dans le giron d’une famille aisée jusqu’au début de l’adolescence. Toutefois, en 1793, les temps se font plus difficiles : son frère Lucien est impliqué dans une controverse politique et la famille doit fuir la Corse et s’installer sur le continent. Arrivés à Marseille, ils vivent dans des conditions précaires. Les premiers exploits militaires de Napoléon cette année-là marqueront le début d’une ascension qui éclaircira grandement l’avenir de sa famille.
Pauline ne reçoit pas l’éducation formelle que les femmes de la haute société étaient censées avoir pour s’assurer de séduire un riche époux. À l’âge de 15 ans sa beauté attire déjà l’œil des camarades militaires de son frère. Après un ou deux badinages, elle s’entiche de Stanislas Fréron, figure de la Révolution. Mais celui-ci, épris d’une autre maîtresse de vingt-six ans l’aînée de Pauline, est rejeté par sa mère. D’innombrables soupirants font alors leur apparition. Napoléon ira jusqu’à dire à l’un d’entre eux : « Tu n’as rien. Elle n’a rien. À quoi cela rime-t-il ? À rien. » Ce dernier finit toutefois par la persuader de réfléchir à épouser Charles Leclerc, ce qu’elle fait en 1797. Un an plus tard, l’unique fils du couple, Dermide, verra le jour.
FEMME, VEUVE, PRINCESSE
En 1801, pour réprimer une révolution en cours à Saint-Domingue (actuelle Haïti) et protéger les revenus générés par le sucre produit dans cette colonie française, Napoléon (alors Premier consul) envoie l’époux de Pauline dans les Caraïbes pour commander 23 000 soldats français. Pauline et son fils le rejoignent 1802. Charles Leclerc remporte ses premières batailles contre les rebelles menés par François-Dominique Toussaint Louverture.
Mais les succès militaires de Charles Leclerc sont de courte durée. Alors que le combat reprend de plus belle, une épidémie de fièvre jaune commence à décimer les troupes françaises. En pleine baisse de moral des troupes, Pauline organise des distractions sociales : des bals et des fêtes dont elle est l’attraction. Elle transforme également son manoir familial en hôpital de campagne. Charles Leclerc exhorte sa femme à retourner en France, mais elle refuse. Il envoie alors une lettre à Napoléon dans laquelle il lui annonce qu’elle a choisi de suivre le destin de son mari pour « le meilleur comme pour le pire ». En novembre 1802, Charles Leclerc meurt de la fièvre jaune et Pauline revient en France avec son fils.
Bien qu’elle pleure sincèrement la mort de son époux, Pauline ne tarde pas à entamer des liaisons romantiques. Sa vie amoureuse ne cessera jamais d’attiser les potins, ni d’être récupérée et exagérée par les ennemis royalistes de Napoléon. « Pauline fut souvent dépeinte par les sympathisants bourbons comme une nymphomane qui se moquait bien que son ou ses partenaires soient des hommes ou des femmes ou, lorsqu’elle était en Haïti avec Leclerc, qu’il s’agisse de ses propres officiers ou bien d’Haïtiens qui combattaient l’armée française », fait observer Flora Fraser, autrice de Pauline Bonaparte : Venus of Empire. « Le but a toujours été de salir, par association, la réputation de son frère. »
Napoléon, qui vise le pouvoir impérial, sait que sa réputation doit être exempte de tout reproche. L’image de sa sœur est intimement liée à la sienne et, de nouveau, il entreprend de trouver un nouvel époux à Pauline : le fortuné et influent prince Camille Borghèse, dont la présence dans la famille doit aider Napoléon à renforcer ses liens avec l’Italie alors occupée par la France. Ils se marient en juin 1803.
Dans un premier temps, Pauline voit d’un bon œil la beauté du prince méditerranéen ainsi que le fait de se voir octroyer le titre de princesse, une rente généreuse et des propriétés mais aussi de pouvoir profiter des célèbres joyaux de Borghèse. Toutefois, la désillusion ne tarde pas et le mariage bat de l’aile. Entre deux quolibets, elle surnomme son époux « Son Altesse de l’Idiotie ».
Bientôt, la santé de Pauline se détériore. En 1804, le prince Borghèse emmène Pauline aux bains de Pise pour qu’elle retrouve la santé, mais il ne lui permet pas de faire venir son fils. Durant son absence, le garçon de six ans contractera une fièvre dont il ne se remettra pas. Pauline attribue la responsabilité de sa mort au prince. Leur mariage raté désormais révolu, elle persuade Napoléon de l’autoriser à rentrer à Paris plutôt qu’à Rome avec Camille Borghèse. Méprisant son mari, elle trouvera de nouveau refuge dans des aventures amoureuses.
BEAUTÉ IMMORTELLE
Peu après leur mariage, Camille Borghèse avait demandé à Antonio Canova, plus grand sculpteur néoclassique de l’époque, de réaliser une sculpture à l’effigie de sa femme. L’artiste voulait œuvrer sur un thème mythologique rappelant Diane, déesse de la procréation et de la chasse.
La résidence de Pauline Bonaparte à Rome accueille aujourd’hui l’ambassade de France près le Saint-Siège.
Pauline se gaussa d’une idée si incongrue et préféra les traits de Vénus, déesse romaine de l’amour. Le chef-d’œuvre qui vit le jour, la Venus Victrix (Vénus Victorieuse), fit passer Pauline à la postérité. La vanité innée de Pauline ne pouvait être plus manifeste qu’en se faisant ainsi représenter sous les traits de la déesse romaine. Mais comme le fait remarquer Flora Fraser, cela montrait également son « mépris pour les conventions, et même un certain plaisir à les faire voler en éclats ».
Son choix de poser nue fit beaucoup parler à l’époque étant donné son rang, mais la virtuosité technique de la sculpture suscita l’admiration de tous quand elle fut achevée en 1808. Observé de nuit à la lueur d’un flambeau, ainsi que le préconisait Antonio Canova, le marbre délicatement poli de la statue ressemble à s’y méprendre à de la chair. Aujourd’hui encore, les formes de Pauline continuent d’émerveiller les visiteurs de la Galerie Borghèse de Rome.
Napoléon semblait ignorer, pour la plus grande partie, le comportement peu conventionnel de Pauline. Ce choix contraste avec ceux de l’homme qui, une fois nommé empereur de la France en 1804, insista sur les « bonnes mœurs » et restreignit les droits obtenus par les femmes durant la Révolution française. Pour Napoléon, l’empire était une chose et la famille en était une autre ; et personne n’illustra mieux ce contraste que sa sœur.
LOYALE JUSQU’AU DERNIER
Les problèmes de santé de Pauline s’aggravèrent au fil des années. Elle souffrait de douleurs abdominales chroniques et allait de ville thermale en ville thermale en quête de soulagement ou d’un remède. Elle tenait la plupart du temps à être portée sur un palanquin pour éviter d’avoir à marcher. Ses exigences se firent de plus en plus capricieuses. Elle ordonnait à ses domestiques de lui servir de repose-pied ou de déposer leur cape à terre afin qu’elle puisse se reposer.
Quand Napoléon fut forcé à l’exil à Sainte-Hélène en 1815, Pauline retourna à Rome où elle fit pression sur les autorités britanniques pour qu’elles libèrent son frère. Cinq ans plus tard, alors que se propageaient les nouvelles de la mauvaise santé de Napoléon, Pauline demanda à plusieurs reprises la permission d’aller le rejoindre et « d’être là pour son dernier souffle ». Il mourut en 1821 et Pauline attendait encore une réponse.
Sa propre santé se dégrada petit à petit censément à cause d’un cancer de l’estomac. En 1825, vingt ans après s’être séparée de son époux, Pauline revint vivre avec lui au Palais Borghèse où elle mourut trois mois plus tard.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.