République dominicaine : comment les sœurs Mirabal ont mis fin à la dictature
Surnommées « las Mariposas », les sœurs Mirabal sont considérées comme des héroïnes nationales pour s’être opposées au régime brutal de Rafael Trujillo.
Les bustes des trois sœurs Mirabal sont exposés devant leur maison, désormais un musée, en République dominicaine. Minerva, María Teresa et Patria Mirabal sont considérées comme des héroïnes nationales pour s’être opposées au régime brutal du dictateur Rafael Trujillo dans les années 1950.
Le 25 novembre 1960, une Jeep dévala le flanc d’une montagne en République dominicaine pour s’écraser 45 mètres plus bas. Un drame qui semblait être le dernier d’une série d’accidents de voiture mystérieux.
Mais il n’avait rien d’accidentel et les passagers du véhicule n’étaient pas n’importe qui. Il s’agissait de Minerva, María Teresa et Patria Mirabal, sœurs et dissidentes qui avaient osé s’opposer au régime brutal du dictateur Rafael Trujillo. Comme bon nombre d’autres opposants politiques de Trujillo ayant trouvé la mort dans des accidents de voiture, elles ont été assassinées par les hommes de main du dictateur.
Surnommées « las Mariposas » (les papillons en français), les sœurs Mirabal sont depuis devenues des héroïnes nationales. Leur mort tragique a suscité une vague d’indignation dans le monde et inspiré la proclamation du 25 novembre comme la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.
UNE ENFANCE PASSÉE SOUS LA DICTATURE
Les sœurs Mirabal grandirent dans une famille aisée à Ojo de Agua, un village voisin de Salcedo. Elles fréquentaient une école catholique et connurent une enfance ordinaire. Mais comme d’autres Dominicains de l’époque, leurs vies furent affectées par la colonisation et le soulèvement contre l’autorité politique survenu au début du 20e siècle.
Ce soulèvement débuta en 1916 : les États-Unis occupaient alors la République dominicaine, par crainte que cette nation insulaire à l’importance stratégique puisse s’allier avec l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. Les États-Unis se retirèrent en 1924 et Horacio Vásquez fut élu président, mais l’instabilité perdura jusqu’à ce qu’il soit renversé par un groupe de rivaux en 1930.
Peu de temps après, le chef militaire Rafael Trujillo fut élu président à la suite d’une élection truquée. Surnommé « El Jéfe » (le chef en français), le nouveau dictateur de la République dominicaine s’empara de tous les pouvoirs, contrôlant chaque aspect du gouvernement et éliminant ses rivaux. Patria, l’aînée des sœurs Mirabal, n’avait que treize ans lorsque Trujillo fomenta le massacre de 30 000 Haïtiens et Dominicains d’origine haïtienne. Les trois fillettes grandirent donc dans une société où il était dangereux, voire mortel, de remettre en cause publiquement le régime du dictateur.
L’assassinat des sœurs Mirabal par le dictateur qu’elles cherchaient à renverser a contribué à faire tomber le régime de ce dernier. Aujourd’hui, les trois femmes sont mises à l’honneur à travers la République dominicaine, notamment sur ce château d’eau situé près de Salcedo et sur cet obélisque de Saint-Domingue.
L’assassinat des sœurs Mirabal par le dictateur qu’elles cherchaient à renverser a contribué à faire tomber le régime de ce dernier. Aujourd’hui, les trois femmes sont mises à l’honneur à travers la République dominicaine, notamment sur ce château d’eau situé près de Salcedo et sur cet obélisque de Saint-Domingue.
LES SŒURS MIRABAL DANS LA RÉSISTANCE
Face à la dictature de Trujillo qui devenait de plus en plus violente, les femmes des classes moyenne et aisée commencèrent à critiquer le régime et à résister activement. Bon nombre d’entre elles s’exilèrent, poursuivant leur résistance depuis l’étranger.
En 1949, les sœurs Mirabal se retrouvèrent dans la ligne de mire du dictateur après un évènement social apparemment destiné à présenter la belle Minerva Mirabal, célibataire, à Trujillo. Le dictateur était connu pour utiliser son pouvoir politique afin de forcer les jeunes femmes à avoir des relations sexuelles avec lui. Lorsque Minerva refusa les avances de Trujillo, ce dernier ne tarda pas à se venger.
« Ce fut une catastrophe pour la famille Mirabal, qui a été harcelée, emprisonnée et ostracisée par ses voisins », écrit l’historienne Nancy Robinson, qui explique comment le régime a nuit à l’éducation et aux opportunités professionnelles des sœurs, a emprisonné leur père et « a provoqué la ruine financière de [la] famille ».
En réponse, Minerva, María Teresa et Patria commencèrent à travailler avec une opposition politique grandissante. Dede, la benjamine des quatre sœurs, est, quant à elle, restée au second plan.
Leur travail prit un caractère plus pressant après une tentative manquée de coup d’État le 14 juin 1959, à la suite de laquelle le gouvernement réprima ses opposants. Les sœurs Mirabal et leurs maris aidèrent à l’organisation du Mouvement du 14 juin, un effort d’opposition nationale, en mémoire des dissidents à l’origine du coup.
Des manifestants brandissent des papillons en papier, symboles des sœurs Mirabal (surnommées « las Mariposas ») lors d’un rassemblement organisé à San Salvador à l’occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Cette journée a été proclamée le 25 novembre en honneur des morts des trois sœurs.
Surnommées « las Mariposas », les sœurs collectèrent des armes et des fournitures, distribuèrent des brochures anti-Trujillo et organisèrent les cellules de résistance dans tout le pays. Elles furent emprisonnées, torturées et harcelées après la révélation de leurs activités.
Mais, tout comme leurs maris, elles ne cessèrent jamais de résister. « Elles avaient une lucidité politique et militaire extraordinaire et étaient prêtes à sacrifier leur vie », a écrit Minou, la fille de Minerva, dans une édition des lettres de ses parents.
L’ASSASSINAT DES SŒURS MIRABAL ET LA CHUTE DE TRUJILLO
L’ironie du sort veut que le traitement que le régime a réservé aux sœurs Mirabal et aux autres femmes de la résistance ait contribué à donner plus d’ampleur au mouvement, souligne l’historienne Elizabeth Manley, en attirant « l’attention nationale et internationale sur l’effondrement politique du dictateur ».
Alors qu’un nombre croissant de Dominicains, et même l’Église catholique qui l’avait publiquement condamné en 1960 après avoir soutenu le régime pendant des années, s’opposaient au dictateur, Trujillo en voulait particulièrement aux sœurs, qu’il considérait comme ses principales ennemies.
Il parvint finalement à les éliminer le 25 novembre 1960. Ce jour-là, Minerva, María Teresa et Patria étaient en route pour la prison où deux de leurs maris étaient incarcérés lorsque leur voiture avec chauffeur fut interceptée par des partisans de Trujillo. Ces derniers étranglèrent et battirent à mort les trois femmes et leur chauffeur, avant de faire croire qu’ils étaient décédés dans un accident de voiture.
Les Dominicains restés au pays et ceux à l’étranger ne furent cependant pas dupes et savaient qu’ils avaient été assassinés. Les sœurs Mirabal sont alors immédiatement devenues des héroïnes nationales.
Cet évènement marqua le début de la chute deTrujillo. Six mois plus tard, il connut un sort comparable : alors qu’il se rendait chez sa maîtresse, il fut intercepté par un groupe de sept dissidents qui l’assassinèrent. Les meurtriers des sœurs furent également arrêtés, condamnés et emprisonnés, mais ils parvinrent à s’échapper et ne purgèrent jamais leur peine.
L’HÉRITAGE DES SŒURS MIRABAL
Les sœurs Mirabal sont devenues des icônes nationales. Certains de leurs enfants ont servi dans le gouvernement dominicain et les papillons sont devenus un symbole national de courage et de résistance. Les visages de Minerva, María Teresa et Patria figurent sur la monnaie dominicaine et leur vie a servi d’inspiration à Julia Alvarez dans son célèbre roman Au temps des papillons, paru en 1994.
Aujourd’hui, nous honorons les sœurs Mirabal pour le courage dont elles ont fait preuve sous un régime totalitaire et en tant que victimes des horribles violences sexistes auxquelles les femmes sont encore confrontées partout dans le monde. En 1981, un groupe de féministes d’Amérique latine et des Caraïbes a commencé à célébrer le jour de la mort des sœurs comme une journée commémorant toutes les victimes de féminicide. En 1999, les Nations Unies leur ont emboîté le pas. Le 25 novembre est désormais la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, une journée de sensibilisation et de commémoration des personnes victimes de violences sexistes ou ayant succombé à celles-ci.
« Il y a encore beaucoup à faire, mais nous avons fait de belles avancées également », a déclaré Minou, la fille de Minerva, elle-même femme politique, dans un discours prononcé en 2006. « Minerva, Patria et Maria Teresa ont été à nos côtés tout au long de ce parcours, ce qui a donné une certaine légitimité à notre combat ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.