Comment les scientifiques reconstruisent les visages de nos ancêtres

Depuis des milliers d’années, les humains tentent de "ramener à la vie" les visages des morts. Grâce aux technologies modernes et à l'analyse d'ADN ancien, c’est désormais un art et une science.

De Erin Blakemore
Publication 24 oct. 2023, 17:52 CEST
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Les humains tentent de ranimer les visages des morts depuis des millénaires. La technologie moderne a rendu les reconstitutions faciales plus précises et convaincantes que jamais, comme en témoigne le visage de cette adolescente amérindienne dont le squelette a été découvert dans une grotte submergée du Yucatan.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, Nat Geo Image Collection

C’est un moment qui ne manque jamais d’interrompre Oscar Nilsson dans son élan, un instant où archéologie et art se rencontrent.

Après de nombreux mois passés à reconstituer la structure faciale d’un humain mort voilà bien longtemps, Oscar Nilsson commence à appliquer une couche de « peau » à son dernier buste en silicone, dans son studio de Stockholm. Il se sert d’aiguilles toujours plus minuscules pour créer des rides et des pores, applique de la peinture qui saisit l’essence de l’épiderme humain, et enfonce de microscopiques cheveux sur sa création. Puis il ouvre les paupières de cette dernière.

« Ça devient immédiatement un visage », indique Oscar Nilsson, archéologue et sculpteur spécialiste des reconstitutions faciales en 3D d’humains anciens. « Après plus de vingt ans, ça continue d’être un grand jour dans le studio. »

Oscar Nilsson n’est pas seul : la reconstitution faciale est une méthode de plus en plus populaire pour se rapprocher du passé. Mais la création d’une reconstitution n’est pas qu’affaire d’argile et de confiance en ses propres mains. Il s’agit d’un procédé pointilleux qui emmène l’art sur les rives de la science et la science sur les rives de l’art ; et les résultats sont à couper le souffle. Voici comment des archéologues ramènent les visages de l’histoire humaine à la vie.

 

POURQUOI NOUS RANIMONS DES VISAGES DU PASSÉ

La pratique de la reconstitution faciale est plus ancienne qu’on ne pourrait le croire : ainsi que l’écrit une équipe de chercheurs en bio-archéologie, « l’idée de ranimer un crâne fait partie de l’histoire humaine depuis des milliers d’années ». Dans le Levant du Néolithique, il y a 10 800 ans environ, et dans l’Anatolie de la fin du Néolithique, il y a 8 500 ans environ, « des crânes ont été exhumés après qu’on a laissé passer suffisamment de temps pour que ce soit socialement acceptable, puis enduits de plâtre, d’argile et de pigments modelés et peints de sorte à ressembler au défunt », expliquent-ils.

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Au Musée américain d’histoire naturelle de New York, un artiste construit la structure musculaire du modèle d’un crâne d’un Homme de Pékin, un hominidé qui vivait il y a 400 000 ans environ en Chine.

PHOTOGRAPHIE DE George Steinmetz, Nat Geo Image Collection

Au 19e siècle, les pionniers de la reconstitution faciale moderne ont employé des stratégies similaires, mais ils y ajoutaient les connaissances et le savoir-faire de médecins et d’anatomistes compétents. Animés par le désir de célébrer et d’idéaliser des figures publiques révérées mais décédées, ils examinaient d’abord les os d’un défunt avant de leur donner une apparence plus ou moins fidèle grâce à la sculpture.

Une de ces sculptures n’était autre que celle du légendaire compositeur Jean-Sébastien Bach. En 1894, afin de découvrir si les restes humains exhumés dans un cimetière allemand étaient vraiment ceux de Bach, l’anatomiste allemand Wilhelm His a tenté de reconstituer le visage du compositeur. Pour ce faire, l’anatomiste a directement appliqué de l’argile sur son crâne et s’est servi de données sur la profondeur moyenne du tissu facial qu’il s’était procurées en étudiant le visage de vingt-sept cadavres humains. Le visage qui a émergé ressemblait à des portraits existants de Bach : les historiens étaient désormais quasiment certains que le squelette avait appartenu au compositeur. Celui-ci a d’ailleurs servi de base à des œuvres d’art ultérieures et a été inhumé de nouveau à Leipzig.

Cela a suscité un intérêt scientifique croissant pour l’anatomie du visage humain et pour les différences subtiles de profondeur faciale et de formation des tissus qui rendent chaque visage unique. Les données concernant l’épaisseur du tissu facial établies par ces pionniers de l’anatomie sont utilisées de nos jours encore par des spécialistes de la reconstitution comme Oscar Nilsson.

 

LES PREMIÈRES ÉTAPES DE LA RECONSTRUCTION FACIALE

Avant de pouvoir entamer une reconstitution faciale en 3D, les chercheurs doivent recueillir autant d’informations que possible sur la vie de leur sujet. Qui était-il ? Où est-il né et mort ? Que connaît-on de son alimentation, de son mode de vie et de sa santé ? De nos jours, les avancées en matière d’analyse archéologique permettent d’identifier toutes sortes d’informations concernant les individus, de leurs aliments favoris au type de climat dans lequel ils évoluaient, en examinant les isotopes d’un spécimen.

Et ce n’est souvent que le début : un nombre croissant de reconstitutions faciales incluent désormais des éléments irréfutables obtenus grâce à l’analyse d’ADN, qui peut permettre de déterminer non seulement l’ascendance d’une personne, mais également sa probable couleur de peau, de cheveux et d’yeux. Les analyses d’ADN ancien « ont tout changé en ce qui me concerne », affirme Oscar Nilsson, car elles éliminent la part de conjecture qui échoyait autrefois à l’artiste dans de nombreuses facettes de la reconstitution.

Le sexe, l’ethnicité, le poids et l’âge au moment de la mort d’un individu sont autant de facteurs déterminant la profondeur faciale et d’autres caractéristiques, tandis que le crâne possède également des crans subtils qui indiquent où le tissu était autrefois attaché à l’os. « Parfois c’est très facile de voir exactement où le muscle était inséré, car il laisse des marques de stress ou des stries sur le crâne », explique Oscar Nilsson. Toutes ces informations aident celui qui reconstitue un visage à aboutir à un modèle anatomique pour le moins étrange.

 

DE L’ARCHÉOLOGIE À L’ART

L’étape suivante ne pourrait s’accomplir sans une connaissance précise de l’anatomie faciale : les spécialistes de la sculpture reconstitutive comme Oscar Nilsson moulent méticuleusement des morceaux isolés de cartilage et de muscle dans de l’argile et les superposent un à un directement sur une réplique du crâne du sujet imprimée en 3D.

Bien que la reconstitution faciale en 3D puisse être entreprise avec l’aide d’un ordinateur, Oscar Nilsson préfère travailler à la main. « Les visages m’intéressent depuis aussi longtemps que je me souvienne », confie-t-il.

Alors que cette mosaïque de déductions logiques prend petit à petit une apparence humaine, le sculpteur passe de la reconstitution à l’interprétation grâce à ce qu’il sait de l’individu pour façonner ses yeux, sa bouche et sa peau. Par exemple, il est susceptible d’ajouter des rides ou des taches brunes au visage d’une personne morte à un âge avancé ou d’inclure des signes de maladies découvertes grâce aux analyses ADN.

« J’ai souvent l’impression que mon travail est un processus en deux étapes », explique Oscar Nilsson. Son travail consiste dans un premier temps à se comporter en observateur impartial, à obéir aux règles de l’archéologie médico-légale et de s’accrocher à des données concrètes. « Et ensuite, je les transmets à l’artiste », poursuit-il.

Finalement, le crâne enduit d’argile sert de base à un buste de l’individu moulé en silicone. Une peinture délicate et subtile et des cheveux méticuleusement posés insufflent un semblant de vie à cette reconstitution.

L’éthique de telles reconstitutions continuent de susciter le débat dans la communauté scientifique. Après tout, il n’existe aucun moyen de savoir si ces représentations sont exactes, et la personne que l’on reproduit n’a pas son mot à dire. Et puis, comment faire en sorte que le public ne tire pas de conclusions trop générales sur la vaste histoire humaine à partir d’un seul visage ?

Mais il existe une autre façon de voir les visages parfois troublants qui émergent de ce processus. Chaque reconstitution faciale est une occasion de réfléchir sur un individu ayant vécu il y a bien longtemps, voire de lui rendre hommage. Les reconstitutions ajoutent une couche d’humanité à ce qui pourrait autrement ressembler à un simple tas d’ossements humains. En d’autres termes, cette danse complexe entre art, anatomie et archéologie a presque le pouvoir de ramener le passé à la vie ; un cil, un pli et un pore à la fois.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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