L’Épice de Dune est plus réelle que vous ne le pensez

Qu’il s’agisse de poissons hallucinogènes ou de nématodes, nombreux sont les animaux de notre planète qui sécrètent des composés chimiques aux propriétés similaires à celles de l’épice produite par les vers des sables géants de la planète Arrakis.

De Maddie Stone
Publication 15 nov. 2024, 17:53 CET
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Caenorhabditis elegans est un nématode qui vit dans le sol et qui peut suspendre un temps sa jeunesse en passant à l’état de « larve dauer ». Il est en outre capable d’accroître spectaculairement sa durée de vie.

PHOTOGRAPHIE DE Micrograph by STEVE GSCHMEISSNER, SCIENCE PHOTO LIBRARY

La fiole de liquide bleu flotte au-dessus des yeux de la Sœur, une menace mortelle et une promesse de renaissance suspendues dans une gouttelette de saphir. Quelques instants plus tard, le poison entre dans son sang et commence à ravager son corps.

Dans cette scène tirée de l’un des premiers épisode de Dune: Prophecy, nouveau spin-off de Dune proposé par HBO, figure l’Eau de Vie, un puissant narcotique extrait des jeunes vers de la planète désertique Arrakis. Les femmes appartenant au Bene Gesserit, l’ordre composé de conseillères politiques douées de pouvoirs psychiques autour duquel tourne la série, en dépendent pour pouvoir effectuer certains de leurs rites les plus importants. En plus de ce mélange épicé, un autre produit dérivé des vers de sable géants d’Arrakis, l’Eau de Vie, aide les Sœurs à aiguiser leurs sens, à se rapprocher de leurs ancêtres et à regarder dans le passé et dans l’avenir.

Dans Dune, le Bene Gesserit n’est pas la seule faction dont les pouvoirs dépendent des sécrétions de ces vers géants. La Guilde spatiale consomme cette épice en grandes quantités pour induire un état de conscience clairvoyant qui leur permet de guider leurs vaisseaux dans l’espace interstellaire. Les Fremen, peuple d’Arrakis, la consomment quant à eux pour ses propriétés psychoactives et pour ses bienfaits pour la santé.

Des sécrétions de vers numineuses capables de prolonger la vie et de déclencher des expériences extracorporelles… voilà qui semble relever de la fantaisie pure. Mais il existe des animaux ici, sur Terre, qui produisent des phéromones, des défenses chimiques et d’autres substances aux propriétés similaires.

« Dans Dune, beaucoup de choses apparaissent comme des superpouvoirs », relève Alison Schapker, showrunner et productrice exécutive de Dune: Prophecy. Pourtant, note-t-elle, même les éléments les plus fantastiques de Dune sont souvent ancrés « dans une perspective qui se rapporte à l’évolution ».

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Un banc de saupes (Sarpa salpa) au large des îles Medes, en Espagne. La consommation de ce poisson peut parfois provoquer des hallucinations intenses. Ces effets sont encore peu étudiés mais selon certains ils pourraient être dus à la façon dont le poisson est préparé.

PHOTOGRAPHIE DE Reinhard Dirscherl, Ullstein Bild, Getty Image

 

PROLONGATION SPECTACULAIRE DE LA DURÉE DE VIE

Sur Arrakis, les vers des sables produisent une épice qui a une grande valeur commerciale, mais sur Terre d’humbles nématodes produisent un arsenal tout aussi impressionnant de composés chimiques. Ces vers divers et variés et hautement adaptables sécrètent un cocktail de puissantes phéromones, les ascarosides. À l’instar de l’Eau de Vie, certains ascarosides font office de philtre d’amour et aident les vers à attirer des partenaires.

D’autres ascarosides réorganisent l’anatomie des nématodes, phénomène qui évoque les mutations corporelles que subissent les membres de la Guilde spatiale lorsqu’ils s’exposent trop longtemps à l’épice. Certains composés chimiques font même entrer les nématodes dans un état d’hibernation, le « stade dauer », qui peut prolonger leur durée de vie bien davantage qu’une infusion quotidienne d’épice.

« C’est un stade de la vie du vers vraiment sympa, car le cycle de vie normal dure entre cinq et trente ans, mais les [nématodes] peuvent passer huit mois à l’état au stade de larve dauer », explique Michael Werner, spécialiste des nématodes de l’Université d’Utah.

Les phéromones de nématodes ne peuvent probablement pas causer d’hallucinations (quoique Michael Werner admette que les scientifiques n’ont pas encore cherché à le savoir).

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    Le crapaud du Sonora (Incilius alvarius) sécrète une substance appelée DMT, qu’on surnomme « molécule de dieu ». La DMT est connue pour les puissantes hallucinations qu’elle provoque.

    PHOTOGRAPHIE DE John Cancalosi, Nature Picture Library

     

    FAUNE PSYCHÉDÉLIQUE AU-DESSUS ET EN DESSOUS DU NIVEAU DE LA MER

    Selon Laura Orsolini, maîtresse de conférences en psychiatrie à l’Université polytechnique des Marches, à Ancône, en Italie, et co-autrice d’un article de revue de la littérature sur l’ainsi nommée « faune psychédélique », plusieurs espèces de poissons, d’amphibiens et possiblement d’insectes produisent des composés chimiques pouvant induire des états de conscience modifiés.

    Les études formelles sur les psychédéliques d’origine animale sont rares. Dans bien des cas, les scientifiques ne savent pas quelles substances psychotropes entrent en jeu, ni pourquoi l’animal les produit (même si les biologistes soupçonnent souvent ces hallucinogènes naturels d’être utilisés à des fins défensives). En général, si les chercheurs sont conscients des effets psychédéliques d’un animal, ce n’est qu’à la faveur de comptes-rendus anecdotiques.

    « Leur utilisation est complètement expérimentale », précise Laura Orsolini.

    Réaliser des expériences avec des animaux psychédéliques peut avoir des conséquences lourdes. Voyez Sarpa salpa, la saupe, surnommée « poisson-rêve » ou « poisson-cauchemar ». Ce petit habitant à rayures dorées de la Méditerranée semble inoffensif, mais des humains ont eu des hallucinations terrifiantes après en avoir mangé.

    Une étude rapport le cas d’un vacancier de quarante ans qui a été pris de nausées quelques heures après avoir ingéré de la saupe dans un restaurant de la Côte d’Azur. Le lendemain, il a dû s’arrêter de conduire lorsque sa vision s’est troublée et qu’une nuée d’insectes géants et hurlants a déferlé sur sa voiture… 

    Autre incident, un homme de quatre-vingt-dix ans a commencé à entendre des « cris humains et des piaillements d’oiseaux » quelques heures après avoir consommé ce poisson. Bien que l’on ne sache pas vraiment pourquoi seules certaines personnes subissent des effets de ce type après avoir mangé de la saupe, il est possible que la façon dont le poisson est préparé, notamment le fait qu’il soit éviscéré ou non avant d’être cuisiné, joue un rôle.

    D’autres ont également fait des « bad trips poissonneux » après avoir mangé du requin du Groenland (Somniosus microcephalus). La viande fermentée de requin du Groenland est un plat national particulièrement apprécié en Islande. Mais si la chair de ce prédateur solitaire est consommée fraîche, elle peut provoquer des vomissements, des hallucinations et une paralysie temporaire. Selon les scientifiques, la responsable est ici la triméthylamine, une neurotoxine dérivée de l’oxyde de triméthylamine, qui est présent dans la chair du requin du Groenland.

    Mais toutes les créatures psychédéliques ne vivent pas dans la mer. Certains indices laissent penser que les fourmis moissonneuses (du genre Messor) du sud et du centre-sud californien peuvent provoquer des hallucinations, possiblement à cause de composés psychoactifs présents dans leur venin. Quant au crapaud du Sonora (Incilius alvarius, également Bufo alvarius), il produit un venin hallucinogène sécrété par plusieurs de ses glandes cutanées.

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    Gauche: Supérieur:

    Un participant à une cérémonie centrée sur le venin de crapaud s’allonge après en avoir inhalé de la fumée à l’aide d’une pipe. Selon les scientifiques, le crapaud su Sonora risque de voir sa population s’effondrer, notamment à cause du braconnage, dont le but est de récolter leurs sécrétions psychédéliques.

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    Une participante à un rituel s’apprête à inhaler de la fumée de venin de crapaud.

    Photographies de GO NAKAMURA, The New York Times, Redux

    Cette substance laiteuse contient de la 5-MeO-DMT, surnommée « molécule de dieu » pour sa capacité à transporter ceux qui en prennent dans un état d’illumination existentielle.

    Selon Robert Villa, président de la Société herpétologique de Tucson, les consommateurs de psychédéliques ont probablement essayé le venin de ce crapaud pour la première fois dans les années 1980. Mais la demande pour cet animal augmente de nouveau à cause de la promotion que font certaines célébrités et influenceurs bien-être de la pratique du « toad tripping ».

    Bien que les scientifiques ne sachent pas encore vraiment dans quelle mesure le trafic illégal nuit au crapaud du Sonora, Robert Villa et d’autres spécialistes craignent que le temps que les chercheurs documentent un possible déclin de leur population, il sera « trop tard » pour faire machine arrière.

    « Il s’agit d’un produit issu de la faune qui donne réellement les effets qu’on lui attribue », à l’inverse de produits pseudo-médicaux populaires comme la corne de rhinocéros, explique Robert Villa. « Cela rend beaucoup plus difficile le fait de dissuader les gens d’y avoir recours. »

     

    UNE PARABOLE OPPORTUNE

    La situation difficile du crapaud du Sonora fait figure de mise en garde pour tous les Bene Gesserit et pour tous ceux qui ont besoin des vers des sables pour obtenir leurs drogues psychoactives. Michael Werner, le spécialiste des vers, formule l’hypothèse que la surexploitation de l’épice, qui est récoltée de manière industrielle sur Arrakis par d’énormes machines d’extraction, pourrait avoir un effet dévastateur sur l’écologie de la planète.

    « Si vous épuisiez toutes les ressources en épice d’Arrakis, ou si vous franchissiez un seuil de bascule, alors vous perdriez les larves [des vers des sables qui la consomment] », explique-t-il. La disparition des larves entrainerait la disparition des vers des sables, qui, selon le roman de Frank Herbert, produisent une proportion phénoménale de l’oxygène de la planète.

    Cela « entraînerait un effondrement de l’écosystème », prévient Michael Werner.

    Ce possible effondrement écologique dû à une surexploitation de l’épice « reflète de très, très près notre situation sur Terre », souligne Robert Villa. Pour l’éviter, il faut selon lui que les groupes qui dépendent de l’épice « trouvent un moyen de [la] gérer de manière coopérative ».

    Selon Alison Schapker, la protection des vers des sables, de l’épice et de la planète désertique sans qui ils n’existeraient pas est un enjeu central dans Dune, même si ce n’est pas toujours le cœur de l’intrigue.

    « La pression d’une ressource limitée dont dépend tout l’Impérium […] peuvent-ils se permettre de continuer à utiliser l’épice ? s’interroge-t-elle. Il y a beaucoup à perdre. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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