Pourquoi a-t-on plus de chances de mourir en hiver ?

Les hivers rigoureux peuvent mettre le corps à rude épreuve, mais l’on observe également une surmortalité hivernale dans des régions où les hivers sont doux. Cela fait plusieurs décennies que les scientifiques cherchent à savoir pourquoi.

De Veronique Greenwood
Publication 23 janv. 2025, 16:30 CET
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Dans le monde entier, la mortalité augmente en hiver. On parle de « surmortalité hivernale ».

PHOTOGRAPHIE DE Norbert Rosing, Nat Geo Image Collection

C’est un fait curieux que l’hiver, en dépit des clochettes et de la Saint-Valentin, soit la saison la plus meurtrière. Un nombre bien plus considérable de personnes meurent durant cette saison que durant le reste de l’année, un phénomène mondial mystérieux que l’on a appelé « surmortalité hivernale ».

Par exemple, lors de l’hiver 2021-2022, plus de 13 000 personnes supplémentaires sont mortes au Royaume-Uni par rapport à la moyenne des autres saisons. Et selon des données des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), aux États-Unis, de 2011 à 2016, 8 à 12 % de personnes en plus sont mortes lors des mois d’hivers que lors des autres saisons. « On observe ce cycle annuel de mortalité partout », révèle Patrick Kinney, professeur de santé publique à l’Université de Boston. Cette tendance a été constatée dans les deux hémisphères, y compris dans des régions où les hivers sont doux. Ceux d’entre nous qui habitent l’hémisphère nord doivent actuellement composer avec des journées brèves et des nuits longues susceptibles de nous inspirer la question suivante : qu’est-ce qui, au juste, fait de l’hiver une saison si mortelle ?

Voilà des questions que les scientifiques se posent depuis des décennies sans pour autant avoir réussi à mettre le doigt sur une réponse définitive. Cette réponse a son importance, car ces décès sont peut-être évitables en mettant en place des mesures gouvernementales adéquates. Mais pour intervenir, il faudrait d’abord élucider cette surmortalité.

Un facteur évident contribue à la surmortalité hivernale : les virus saisonniers. Pour des raisons qui continuent de faire débat, des virus tels que la grippe suivent un schéma saisonnier marqué et atteignent leur pic de virulence l’hiver. Cela dépend des années, mais une part importante de la surmortalité hivernale, parfois la moitié du total des décès supplémentaires, est due à des virus. Cependant, ces derniers ne peuvent à eux seuls expliquer le phénomène dans son entièreté. Une partie de la réponse semble se cacher dans le cœur.

 

LE FROID PEUT EXACERBER LES PROBLÈMES CARDIAQUES

Infections virales mises à part, les scientifiques voient un élément de réponse dans une autre cause de mortalité répandue. « La moitié de tous les décès hivernaux [supplémentaires] sont dus à des causes cardiovasculaires », indique Kristie Ebi, professeure spécialiste de santé mondiale à l’Université de Washington. Parmi ces causes figurent notamment les AVC et les crises cardiaques. « Voilà le schéma, déclare-t-elle. La question est : pourquoi ? »

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Les hivers rigoureux peuvent mettre le corps à rude épreuve, mais l’on observe également une surmortalité hivernale dans des régions où les hivers sont doux. (Accompagner les Morts, 1865 – huile sur toile. Vasili Grigorevich Perov, Galerie Tretiakov, Moscou, Russie).

PHOTOGRAPHIE DE Mariano Garcia, Alamy Stock Photo

Pour certains chercheurs qui se sont posé cette question, l’effet de la température sur le système circulatoire semble être un point de départ prometteur. Si la source du mal est le froid, une campagne d’isolation des maisons ou de subvention des coûts de chauffage hivernaux pourrait permettre de sauver des vies. Dans les années 1970 et 1980, William Keatinge, physiologue du London Hospital Medical College, a entrepris de découvrir si les basses températures étaient susceptibles d’entraver le fonctionnement du corps humain.

William Keatinge a réalisé des expériences en laboratoire lors desquelles les sujets étaient soit gardés au chaud, soit légèrement rafraîchis à l’aide d’un ventilateur. Il a alors remarqué que sur une période de six heures, le sang des participants changeait subtilement. La contraction des vaisseaux sanguins de la surface de la peau pour empêcher la déperdition de chaleur entraînait une concentration de sang plus importante dans le reste du système. Les globules des personnes rafraîchies étaient regroupés de manière plus serrée et leur tension artérielle était plus élevée que celle des personnes emmitouflées dans des couvertures. Cela suggérait que le stress thermique pouvait favoriser la formation de caillots ou l’éclatement de vaisseaux, phénomène qui pourrait expliquer le surcroît de décès dus à des causes cardiovasculaires. (D’ailleurs, l’Association américaine pour le cœur (AHA) invoque un concept similaire lorsqu’elle invite les citoyens à faire attention quand ils déneigent).

William Keatinge s’est également demandé quels liens ces découvertes physiologiques pouvaient entretenir avec des tendances observées dans le monde réel. Se pouvait-il que les hivers plus froids soient plus meurtriers que les hivers plus doux ? Lui et ses collègues ont comparé des données concernant des personnes vivant en Europe, dans des endroits aussi chauds que Palerme, en Italie (où les températures hivernales quotidiennes avoisinaient les 15,5°C), et aussi froids que le nord de la Finlande (où la température moyenne était de -2,8°C). Ils ont découvert qu’il n’existait aucune différence particulière entre les pays très froids et les pays très chauds en matière de surmortalité hivernale.

Ainsi que l’ont alors écrit les chercheurs, cela ne contredisait pas nécessairement les conclusions selon lesquelles l’exposition au froid était susceptible d’endommager le cœur. Au contraire, expliquaient-ils, l’absence de différence pourrait s’expliquer par le fait que les habitants des régions froides sont habitués au froid, bénéficient d’un chauffage fiable, d’une bonne isolation et de vêtements chauds quand ils s’aventurent à l’extérieur. Les habitants des régions plus chaudes, en revanche, étaient pris au dépourvu par les jours froids, il faisait plus froid chez eux et ils disposaient de moins de ressources pour rester au chaud.

Il s’agissait d’une idée intéressante, les habitants des régions froides pouvaient protéger leur cœur en s’emmitouflant ou en chauffant leur maison. Cette façon de penser a probablement influencé des mesures prises ultérieurement au Royaume-Uni, comme le programme Warm Front, qui a contribué au financement de l’isolation de maisons et d’autres améliorations domestiques au début des années 2000. Une étude publiée en 2008 par l’Université de Sheffield Hallam suggérait une corrélation entre cette intervention et la baisse du nombre de décès chez les personnes âgées.

Depuis le début des travaux de Keatinge, le parc immobilier britannique s’est amélioré et les coûts de chauffage ont diminué. La corrélation entre basses températures et surmortalité hivernale au Royaume-Uni s’est effacée également, ainsi que le fait observer Philip Staddon, consultant environnemental et professeur invité à l’Université du Gloucestershire qui a étudié la santé humaine et les changements environnementaux et qui est en outre l’auteur d’un article paru en 2014 traitant de cette corrélation. Selon lui, il a en effet pu exister à un moment donné un lien entre température et décès, du moins au Royaume-Uni. Mais cela n’explique probablement pas tout.

 

LES TEMPÉRATURES BASSES N’EXPLIQUENT PAS TOUT

Au cours de la décennie passée, certains chercheurs ont réalisé des observations qui viennent compliquer ce récit. Les basses températures pourraient ne pas être le principal facteur influençant la surmortalité hivernale, du moins pas dans toutes les régions du globe.

« À Honolulu, il fait vraiment chaud, et les températures ne varient pas durant l’année », affirme Patrick Kinney, qui a écrit un article sur la mortalité hivernale en 2015. « Et pourtant les gens meurent 10 à 15 % de plus l’hiver que l’été ? » Cela ne tenait pas debout, trouvait-il. Tout cela ne pouvait pas se résumer au fait de ne pas avoir de chauffage.

Dans leur article de 2015, Patrick Kinney et ses collègues suggéraient l’existence d’une autre cause saisonnière en dehors des virus et du froid.

En effet, si les basses températures constituent le changement le plus évident apporté par l’hiver, il existe de nombreux changements plus discrets susceptibles de faire augmenter la mortalité de façons que nous ne comprenons pas encore.

Dans de nombreuses régions, l’hiver est synonyme d’ensoleillement plus faible. Cela entraîne une moindre production de vitamine D par le corps. Certaines personnes mangent peut-être davantage ou différemment – quelqu’un veut un autre morceau de dinde ? –, on arrête parfois de faire de l’exercice physique ou bien l’on boit plus d’alcool. Même l’air peut changer ; dans certaines régions du monde, la pollution de l’air est bien pire l’hiver et dans les endroits où la pollution est moins un problème, les taux d’humidité en intérieur peuvent être radicalement différents. « On change tout un tas de choses l’hiver », fait observer Kristie Ebi. D’une certaine manière, en particulier au sein des cultures qui passent beaucoup de temps en intérieur, la température passe au second plan.

Pour Kristie Ebi, ces autres facteurs saisonniers méritent d’être explorés davantage. Peut-être qu’il existe des changements physiologiques, en dehors de ceux liés à la température, qui pourraient être corrélés à la surmortalité hivernale.

« Je vis à Seattle. L’hiver, nous hibernons, dit-elle en riant. Toutes sortes de changements ont lieu. Mais aucune étude à ma connaissance n’a tenté de tester cela […]. J’attends encore. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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