Pourquoi l’Inde s'est-elle posée près du pôle sud de la Lune ?

Cette zone inexplorée de la surface lunaire présente des paysages plus anciens que n’importe lequel des sites Apollo et pourrait disposer de nombreuses ressources susceptibles de servir à de futurs équipages humains.

De Jay Bennett
Publication 30 août 2023, 09:16 CEST
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Cette mosaïque d’images prises par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter révèle le terrain accidenté et les cratères ombragés du pôle sud de la Lune. 

PHOTOGRAPHIE DE MOSAIC BY NASA, GSFC, ARIZONA STATE UNIVERSITY

Après un voyage de cinq semaines, la sonde indienne Chandrayaan-3 a entamé sa descente vers la surface lunaire. L’engin s’est placé à la verticale en position d’atterrissage, s’est stabilisé pour planer à environ 140 mètres d’altitude, puis s’est posé sur un plateau poussiéreux situé entre deux grands cratères.

« L’Inde est sur la Lune », a annoncé S. Somanath, président de l’Organisation indienne pour la recherche spatiale (ISRO), à une foule enthousiaste dans le centre de contrôle de Bangalore, le mercredi 23 août.

Après l’Union soviétique, les États-Unis et la Chine, l’Inde est la quatrième nation à réussir à se poser sur la Lune, et la première à visiter l’énigmatique région du pôle sud lunaire.

« C’est vraiment merveilleux de voir nos partenaires indiens réussir leur alunissage », a déclaré David Kring, spécialiste des sciences planétaires au Lunar and Planetary Institute de Houston, au Texas. « Poser un vaisseau spatial à la surface d’un autre corps [céleste] constitue un véritable défi. »

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L’atterrisseur lunaire Chandrayaan-3 attaché au module de propulsion qui l’a transporté sur la Lune.

PHOTOGRAPHIE DE ISRO

Alunir n'est pas une mince affaire comme l’a souligné une récente série d’échecs. Quelques jours avant l’alunissage de Chandrayaan-3, l’atterrisseur russe Luna-25 s’est écrasé sur la Lune après que l’un de ses moteurs s’est mal éteint. Un atterrisseur construit par la société japonaise Ispace et qui transportait un rover construit par les Émirats arabes unis, a connu une fin tragique en avril car l’engin spatial a mal évalué son altitude et s’est retrouvé à court de carburant. Le premier engin spatial indien qui avait essayé d’alunir en septembre 2019 s’était également écrasé.

« Depuis le jour où nous avons entrepris de reconstruire notre vaisseau spatial après [l’expérience] Chandrayaan-2, notre équipe a concentré tous ses efforts sur Chandrayaan-3 », a déclaré Kalpana Kalahasti, directrice associée de la mission, après l’atterrissage de la sonde.

Le lendemain matin en Inde, cette équipe a eu d’autant plus de quoi se réjouir lorsqu’un petit rover nommé Pragyaan « est descendu de l’atterrisseur et que l’Inde a marché sur la Lune ! » a indiqué l’ISRO.

Le rover, dont le nom signifie « sagesse » en sanskrit, et l’atterrisseur Vikram, nommé ainsi en l’honneur du scientifique indien Vikram Sarabhai qui a contribué à la création de l’ISRO, prendront des mesures scientifiques pendant environ deux semaines. Après cela, la zone sera plongée dans une nuit lunaire de deux semaines au cours de laquelle les deux engins spatiaux devraient cesser de fonctionner puisqu’ils sont alimentés par énergie solaire.

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    La première image de la surface de la Lune prise par la sonde indienne Chandrayaan-3 après son alunissage historique le 23 août 2023.

    PHOTOGRAPHIE DE ISRO

    D’ici peu, cependant, une nouvelle génération de robots pourrait rejoindre le rover Pragyaan et l’atterrisseur Vikram sur la Lune. Un atterrisseur japonais appelé SLIM (Smart Lander for Investigating Moon) et un nouveau télescope spatial, tous deux conçus par l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA), devraient bientôt être envoyés dans l'espace. 

    D’autres missions importantes, telles que le rover VIPER de la NASA et la sonde chinoise Chang'e 6, devraient être lancées en 2024, afin de révéler de nouvelles parties de la Lune avant la mission Artemis III qui ramènera des humains à sa surface.

    « C’est une époque très excitante », a déclaré Kring. « Nous allons nous amuser ».

     

    L’ALUNISSAGE

    Chandrayaan-3 a aluni à environ 69 degrés de latitude sud, plus près du pôle sud lunaire que tout autre engin avant lui. Sur Terre, cela équivaudrait à peu près aux côtes de l’Antarctique, bien que l’on soit encore « loin du pôle à 90 degrés », explique Kring.

    « [Les engins] se trouvent sur ce terrain quasi polaire très ancien, […] bien plus ancien que tous les sites d’atterrissage d’Apollo ; les études géologiques de ce terrain sont passionnantes », souligne-t-il.

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    Un ingénieur travaille avec un prototype du rover VIPER (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) sur un banc d’essai constitué d’un sol ressemblant à des sables mouvants dans le « bassin d’immersion » du Simulated Lunar Operations Laboratory, ou SLOPE Lab, au Glenn Research Center de la NASA, à Cleveland. Le rover VIPER opérera au pôle sud de la Lune pour y chercher de la glace d’eau. Il peut faire pivoter chaque roue indépendamment et « nager » pour s’extraire du sable fin et profond.

    PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen, National Geographic

    Le rover analysera la composition minérale de la zone, tandis que l’atterrisseur utilisera un sismomètre pour écouter les « tremblements de Lune » qui peuvent se produire lorsque la Lune se refroidit et se contracte lentement, ainsi que pour mesurer les températures et les conditions atmosphériques.

    Cependant, lorsque le Soleil se couchera sur Chandrayaan-3, le rover et l’atterrisseur devraient s’éteindre à jamais. Ils ont déjà atteint leur objectif le plus important : alunir et se déployer en toute sécurité. Les prochaines missions poursuivront l’exploration de la surface lunaire ; l’Inde pourrait d’ailleurs y retourner dans quelques années dans le cadre d’une mission conjointe avec le Japon.

    La JAXA n’aura pas à attendre aussi longtemps puisque, malgré plusieurs reports de lancement, elle compte de nouveau prochainement envoyer son atterrisseur SLIM dans l’espace. L’engin de 2,4 mètres de haut se mettra en orbite autour de la Lune avant de tenter un alunissage localisé à l’aide d’une technologie de reconnaissance d’images pour identifier les cratères et déterminer avec précision son emplacement. Lors de la descente finale, un radar sophistiqué aidera l’engin à se poser à moins de 100 mètres de sa cible. À titre de comparaison, la zone d’alunissage de Chandrayaan-3 était une ellipse d’environ quatre kilomètres de large.

    Ce type d’alunissage de précision sera nécessaire à l’avenir pour explorer les cratères profonds et les pentes accidentées du pôle sud lunaire. Ce paysage irrégulier comporte des zones qui ne sont jamais exposées à la lumière du Soleil et où les scientifiques espèrent découvrir des accumulations de dépôts de glace d’eau, laquelle serait vitale dans le cadre de l’établissement d’un avant-poste humain sur la Lune.

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    L’impressionnant sommet connu sous le nom de massif de Malapert (en bas à gauche) a été sélectionné comme potentielle zone d’atterrissage pour Artemis III. Le sommet s’élève à plus de 5000 mètres. Au loin, on aperçoit une falaise de 3500 mètres de haut. La grandeur même de cet endroit en fait un candidat de choix.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA, GSFC, ARIZONA STATE UNIVERSITY

    « Le pôle sud est vraiment un monde incroyable. Il présente une topographie extrême, avec de très grands cratères et de très hautes montagnes », explique Anthony Colaprete, responsable scientifique de la mission VIPER au Ames Research Center de la NASA, en Californie. « C’est vraiment un paysage fascinant. »

     

    À LA RECHERCHE DE RESSOURCES

    Les cratères du pôle sud de la Lune fascinent les scientifiques depuis des décennies. Ils comptent parmi les cratères lunaires les plus anciens et les plus larges et recèlent des indices sur l’état du système solaire il y a plus de 3,5 milliards d’années, lorsque la Lune et la Terre étaient toutes deux pilonnées par des astéroïdes.

    Sur la majeure partie de la Lune, un cycle de jour et de nuit dure environ 28 jours terrestres. Au pôle sud, cependant, le Soleil ne se couche jamais et tourne lentement autour de l’horizon, ce qui projette des ombres perpétuelles sur certaines parties des cratères.

    Ces poches d’obscurité, qui comptent parmi les endroits les plus froids du système solaire, pourraient contenir des dépôts de substances que les scientifiques qualifient de volatiles, c’est-à-dire des composés qui se subliment en gaz sous l’effet de la lumière du Soleil. La substance volatile que les scientifiques espèrent découvrir sur la Lune est de l’H2O.

    « Il serait très utile d’y trouver de la glace d’eau en quantité et dans un état récupérable », explique Kring. « Déjà, l’eau peut être consommée par les astronautes. En plus de ça, elle constitue un bouclier très efficace contre les radiations spatiales. Enfin, on peut séparer l’hydrogène de l’oxygène pour fabriquer du propergol. »

    Pour savoir si cette glace sera accessible à de futures missions avec équipage, la NASA se prépare à lancer un rover appelé VIPER (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) sur la Lune dès novembre 2024. Équipé d’une foreuse de 1 mètre de long, ce rover de la taille d’une voiture de golf explorera les cratères situés au sommet d’une vaste montagne appelée Mons Mouton, près du pôle sud de la Lune.

    « À l’intérieur de ces anciens cratères se trouvent des zones d’ombre permanentes qui n’ont pas vu la lumière du jour depuis des milliards d’années », explique Colaprete. Au cours de sa mission de 100 jours, VIPER s’aventurera dans les zones d’ombre des cratères, où les températures peuvent avoisiner le zéro absolu.

    Une fois que les scientifiques sauront où se trouve la glace, et en quelle quantité, ils devront envoyer des équipements de collecte d’eau à la surface de la Lune pour y accéder. Pour s’y préparer, la NASA a financé plusieurs entreprises aérospatiales afin qu’elles mettent au point des atterrisseurs lunaires qui pourraient transporter non seulement des instruments scientifiques, mais aussi des outils et de quoi aider à la construction d’une base. Deux de ces engins spatiaux (l’atterrisseur Nova-C construit par Intuitive Machines, à Houston, et l’atterrisseur Peregrine d’Astrobotic Technology, une entreprise installée à Pittsburgh) pourraient être lancés dans le courant de l’année.

    Des entreprises privées en Inde, au Japon, en Israël et ailleurs comptent également se rendre sur la Lune avec toute une flotte de modèles qui pourraient un jour servir à acheminer du fret vers des astronautes qui vivraient à sa surface.

     

    BIENTÔT DE NOUVELLES EMPREINTES DE BOTTES  SUR LA LUNE ?

    Pour ramener les humains sur la Lune, la NASA accélère son programme Artemis. Artemis I, le premier lancement test de la fusée géante Space Launch System qui transportera des astronautes sur la Lune, a décollé le 15 novembre 2022. L’agence spatiale se prépare maintenant pour Artemis II, qui doit permettre à des astronautes d’effectuer un aller-retour autour de la Lune en novembre 2024. Enfin, Artemis III devrait permettre à un équipage de se poser sur la surface de la Lune dès décembre 2025.

    Pour réussir un alunissage avec équipage dans ce délai, la NASA compte sur la fusée Starship de SpaceX. Ce lanceur spatial géant, le plus grand et le plus puissant jamais construit, a subi une terrible explosion lors de son premier vol d’essai en avril. Il a également partiellement détruit l’aire de lancement, projetant ainsi des débris de béton et de métal sur des milliers de mètres.

    La NASA prévoit d’utiliser une version modifiée de l’étage supérieur de cette fusée pour faire atterrir des personnes sur la Lune, sans laquelle Artemis III ne pourra se dérouler comme prévu. Elon Musk, le fondateur de SpaceX, a évoqué les améliorations apportées à Starship et à son aire de lancement lors d’une interview en ligne avec Bloomberg en juin, au cours de laquelle il a estimé à environ 60 % les chances d’atteindre l’orbite lors de la prochaine tentative.

    « On se sait pas encore exactement à quoi ressemblera Starship lorsqu’il sera opérationnel pour les missions lunaires », déclare Jason Davis, rédacteur en chef de The Planetary Society. « Combien de temps pourrons-nous rester sur la Lune à l’intérieur de cet engin ? Quelle quantité de fret peut-il transporter ? »

    La NASA a également chargé Blue Origin, la société spatiale de Jeff Bezos, de diriger un consortium d’entreprises aérospatiales dont l’objectif est de construire un deuxième module d’atterrissage lunaire avec équipage. De son côté, la Chine prévoit d’envoyer des astronautes sur la Lune d’ici 2030 et se prépare à la mission de retour d’échantillons Chang'e 6 au pôle sud de la Lune l’année prochaine.

    En attendant la finalisation d’atterrisseurs lunaires avec équipage, la surface de la Lune devra être étudiée à distance à l’aide de robots explorateurs tels que Chandrayaan-3. Mais il se pourrait que des scientifiques et des ingénieurs en combinaison spatiale visitent plus tôt qu'on ne le croit les cratères ombragés du pôle sud de la Lune pour y récupérer leur glace et percer leurs secrets.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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