La NASA s'apprête à explorer Europe, la lune de glace de Jupiter

Pour la première fois, l'agence spatiale américaine lance une mission à destination de ce mystérieux satellite de Jupiter pour évaluer son habitabilité.

De Adam Mann
Publication 7 oct. 2024, 18:03 CEST
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Illustrée ci-dessus en compagnie de Jupiter, la sonde Europa Clipper de la NASA s'approchera à moins de 25 kilomètres de la lune jovienne. 

ILLUSTRATION DE NASA, JPL-Caltech

Depuis plus d'un quart de siècle, les scientifiques rêvent d'envoyer un robot explorer Europe, l'un des satellites naturels de Jupiter. Bientôt, leur rêve deviendra réalité : le 10 octobre, une sonde quittera le Centre spatial Kennedy à bord d'une fusée SpaceX pour rejoindre ce monde de glace. Au terme d'un voyage de cinq ans et demi à travers le système solaire, la mission Europa Clipper effectuera plus de cinquante survols de la mystérieuse lune pour tenter de percer ses nombreux secrets.

Europe est-elle habitable ? Voilà la première des énigmes qui occupent l'esprit des chercheurs. Dispose-t-elle de l'eau, de l'énergie et des éléments chimiques nécessaires à la vie telle que nous la connaissons ? Derrière sa carapace de glace, le satellite jovien aux dimensions semblables à notre Lune dissimule un immense océan qui pourrait contenir près de deux fois le volume d'eau présent sur Terre. Cela fait d'Europe une cible majeure pour les astrobiologistes dans leur quête d'organismes vivants au-delà de notre planète.

Au cours de ses trois premières années en orbite, Europa Clipper nous transmettra des clichés inédits de la lune, recueillera des informations sur les mouvements qui animent sa coquille de glace et déterminera si de spectaculaires geysers jaillissent de sa surface, comme c'est le cas pour Encelade, un satellite naturel de Saturne. La sonde offrira aux astronomes une fenêtre sur les mécanismes internes des corps dotés d'un océan subglaciaire, dont l'univers semble constellé.

« Nous n'avons jamais consacré une mission à un satellite glacé », indique Curt Niebur, scientifique de programme pour la mission au sein de la NASA. « Il y a tellement de découvertes à faire, ce sera fantastique ! » 

Gauche: Supérieur:

Première mission de la NASA à destination du système solaire externe, Pioneer-10 a survolé Jupiter en 1973 et nous a offert notre premier aperçu, légèrement nébuleux, de sa lune Europe. 

PHOTOGRAPHIE DE NASA
Droite: Fond:

En 1979, la sonde Voyager 2 de la NASA a capturé cette image d'Europe révélant un réseau complexe de stries glaciaires en surface.

 

QUE SAVONS-NOUS D'EUROPE ? 

L'astronome italien Galileo Galilei a découvert Europe et trois de ses sœurs en 1610, après avoir remarqué quatre points brillants dans le voisinage de Jupiter alors qu'il observait la planète à travers son télescope. En 1979, la sonde Voyager nous a offert les premiers plans serrés sur cette lune après un bref passage aux abords de Jupiter pour immortaliser ses nombreux satellites. Il faudra attendre la visite de Voyager 2 pour découvrir les premières images haute résolution de la carapace d'Europe, parcourue de fissures irrégulières et relativement dépourvue de cratères, les signes révélateurs d'une surface jeune et d'une probable activité géologique.

En 1966, la mission Galileo de la NASA survole Europe et nous transmet de curieuses données : cette petite lune de glace posséderait un champ magnétique, une caractéristique habituellement observée sur des corps plus imposants, comme la Terre. L'astrophysicienne Margaret Kivelson et ses collègues nous montrent alors que le champ magnétique de Jupiter pourrait s'étendre à Europe si la lune possédait un immense océan d'eau liquide et salée sous sa croûte de glace. 

« Tout le monde était sceptique, sans grande surprise », se souvient Niebur. « Margie s'est assise, elle a expliqué ses hypothèses, ses calculs, sa logique et cette femme brillante est parvenue à convaincre tout le monde qu'elle avait raison. »

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    Gauche: Supérieur:

    La sonde Galileo a peint une image saisissante de la surface d'Europe, avec ses dômes, ses crêtes et ses taches rouges qui renferment des molécules organiques, composées de carbone.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL, University of Arizona
    Droite: Fond:

    La mission Juno de la NASA s'intéresse avant tout à Jupiter, mais cela n'a pas empêché la sonde de capturer cette image d'Europe lors d'un survol de la géante gazeuse en 2022. 

    PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL-Caltech, SwRI, MSSS, Björn Jónsson

    Pour la première fois, les scientifiques avaient sous les yeux la preuve de l'existence d'un océan subglaciaire sous la carapace d'une lune glacée, une catégorie qui inclut également Calisto et Ganymède, deux autres lunes joviennes, ainsi que Titan et Encelade, deux lunes de Saturne, et enfin Triton, une lune de Neptune. La sonde Galileo a également révélé des taches rougeâtres de matière organique contenant du carbone à la surface d'Europe, alors que des observations ultérieures ont détecté du sel de table dans ces mêmes tâches, autant d'indices suggérant qu'un milieu habitable pourrait se cacher derrière cette apparente hostilité.

    Malgré tout, notre compréhension d'Europe reste truffée de lacunes : l'épaisseur de sa coquille de glace se compte-t-elle en kilomètres ou en dizaines de kilomètres ? Quelle est la composition chimique de l'océan subglaciaire ? Sa profondeur ? Y a-t-il une activité géothermique sur le plancher de cet océan pour alimenter en énergie d'éventuels organismes vivants ? La matière organique détectée à la surface d'Europe pourrait-elle alimenter des créatures marines ? Ces questions constituent la raison d'être de la mission.

     

    EN QUOI CONSISTE LA MISSION EUROPA CLIPPER ?

    Europa Clipper est la plus grande sonde d'exploration planétaire jamais construite par la NASA, avec une taille avoisinant celle d'un terrain de basket en comptant ses panneaux solaires. Le robot embarque une suite de neuf instruments à la pointe de la technologie qui devront recueillir une vaste gamme de données pendant les survols d'Europe.

    Europa Clipper ne pourra pas se placer en orbite autour d'Europe en raison de l'incroyable champ magnétique de Jupiter, environ 20 000 fois plus puissant que celui de notre planète. Les radiations du champ magnétique viendraient à bout de n'importe quel instrument électronique exposé trop longtemps et donneraient même à la lune une lueur bleue ou verte. La sonde sera toutefois en mesure de traverser ces radiations pour capturer des images en haute résolution de 95 % de sa surface, avec des survols prévus à une altitude frôlant les 25 kilomètres. Grâce à ces images, les chercheurs pourront reconstituer la carte d'Europe la plus précise jamais établie.

     

    COMMENT LA SONDE VA-T-ELLE ÉTUDIER EUROPE ?

    À l'heure actuelle, nos meilleures images de cette lune offrent des détails limités, un peu comme si une sonde survolait la Terre et était capable de dire que Manhattan est une île bordée par deux cours d'eau, illustre Catherine Walker, planétologue au sein de l'Institut océanographique de Woods Hole dans le Massachusetts. Avec Clipper, « nous pourrons distinguer Central Park, les rues et d'autres détails du genre », explique-t-elle, mais aussi mesurer la hauteur de différents reliefs.

    Cette résolution permettra aux chercheurs d'étudier les mouvements et les ruptures de la glace, pour savoir si certaines sections glissent les unes sous les autres, comme les plaques tectoniques sur notre planète. Autre fait important, ils pourront identifier d'éventuelles galeries reliant la surface de la lune à son océan subglaciaire.

    La caméra de la sonde Juno a capturé ce cliché de l'hémisphère sud de Jupiter avec les lunes Io (à gauche) et Europe (à droite) visibles sur la droite de la géante gazeuse.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL-Caltech, SwRI, MSSS, Andrea Luck

    Europa Clipper utilisera un radar à pénétration de glace pour sonder la carapace de la lune sur toute sa profondeur et tenter d'identifier des poches d'eau liquide dissimulées sous la glace, comme le lac Vostok en Antarctique. Ces poches constituent des refuges potentiellement habitables plus accessibles que l'océan subglaciaire pour des molécules organiques riches en énergie provenant de la surface.

    « Nous savons que la vie aime les interfaces et les zones propices au mélange de matières », déclare Kate Craft, astrobiologiste au sein de l'Applied Physics Laboratory de l'université Johns-Hopkins de Laurel, dans le Maryland, aux États-Unis. « Si ce type d'espace existe dans la croûte de glace, nous aurions tout intérêt à y retourner pour prélever des échantillons à l'avenir. »

    À l'aide de son spectromètre, Europa Clipper analysera la matière organique rouge orangé à la surface de la lune. Trois phénomènes peuvent expliquer sa présence : une remontée depuis l'océan subglaciaire par des fissures, une simple interaction chimique avec le formidable champ magnétique de Jupiter ou un dépôt de matière éjectée par Io, la lune volcanique voisine d'Europe. 

    Aux abords du système jovien, la sonde de la NASA recevra la visite de la mission Jupiter Icy Moons Explorer (JUICE) de l'Agence spatiale européenne. Cette mission vise principalement à étudier Ganymède et Calisto mais devrait également survoler Europe, l'occasion pour les deux engins de travailler en tandem à la résolution des énigmes de ces mondes lointains. 

     

    LA SONDE VA-T-ELLE FORER LA CROUTE D'EUROPE ?

    Malheureusement, la sonde Europa-Clipper n'est pas conçue pour se poser et prélever des échantillons, mais de nombreux scientifiques espèrent localiser des geysers à la surface de la lune, comme le suggèrent les images transmises par Hubble quelques décennies plus tôt. Cependant, « toutes ces observations ont été faites aux limites de détection du télescope spatial », indique Francis Nimmo, planétologue au sein de l'université de Californie à Santa Cruz. Quoi qu'il en soit, « si ces panaches existent, ils sont épisodiques et ils pourraient ne pas être là du tout. »

    Europa-Clipper devrait donc permettre de tirer tout cela au clair, soit en prenant directement un geyser en photo, soit en identifiant les traces d'un dépôt récent à la surface de la lune. L'existence de ces panaches serait un atout considérable, car les directeurs de la mission pourraient alors diriger la sonde à travers l'un d'eux et analyser la matière en provenance de la croûte de glace ou de l'océan subglaciaire.

    Europe, une candidate potentielle pour la vie

     

    QUE SE PASSE-T-IL DANS LES PROFONDEURS D'EUROPE ?

    Personne ne connaît le degré d'activité géologique de la surface rocheuse au fond de l'océan d'Europe. Certains suspectent la présence de cheminées hydrothermales, comme celles qui jaillissent du plancher des océans terrestres en offrant un habitat chaud et riche en énergie aux microbes, crabes et autres vers des profondeurs. De récentes modélisations ont toutefois refroidi les ardeurs à l'égard de ces théories : d'après la résistance de la croûte rocheuse et la faible activité tectonique de notre propre Lune, certains chercheurs se demandent si le plancher océanique d'Europe ne serait pas plutôt pauvre en énergie. 

    « Si nous avons raison, ce ne sera pas le type de système hydrothermal auquel nous sommes habitués sur Terre, avec ses énormes vers et la chaleur intense dégagée par les fumeurs noirs et blancs », indique Paul Byrne, planétologue au sein de l'université de Washington à Saint-Louis qui a contribué à l'élaboration des nouveaux modèles.

    Il ajoute toutefois que cela n'est pas un frein à la vie, surtout en connaissance des nombreux microbes terrestres qui s'épanouissent parfaitement dans des régions à faible énergie où l'eau et la roche interagissent, comme les immenses fissures dans la croûte océanique. L'existence de ces débats entre les chercheurs est une bonne chose, poursuit Craft, car ils accentuent le besoin d'une mission comme Europa Clipper pour les clarifier. Lors de ses survols, la sonde mesurera les champs magnétique et gravitationnel de la lune, ce qui fournira de précieuses informations sur la composition interne d'Europe et devrait permettre de clore certains débats. 

     

    QUELLES CONSÉQUENCES POUR LA RECHERCHE DE VIE EXTRATERRESTRE ?

    Même si Europa Clipper n'est pas une mission de détection de vie extraterrestre, ce sera la première à évaluer la capacité de ce monde à accueillir la vie. La compréhension de cette lune de glace ouvrira la voie à celle des corps similaires de notre système solaire, comme Encelade et Triton, mais aussi à celle des mondes glacés d'autres systèmes stellaires. Comme le rappelle Niebur, il n'existe qu'un seul monde océanique terrestre dans notre système solaire, la Terre, alors qu'il en existe six semblables à Europe.

    « Si Europa Clipper nous montre que les corps de glace sont habitables, conclut-il, cela aura des conséquences renversantes sur la fréquence des environnements habitables dans l'univers tout entier. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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