Amenhotep II fut le premier pharaon à être retrouvé intact... mais il n’était pas seul dans son tombeau
Les tombeaux royaux de la Vallée des Rois ne renferment en général qu’un seul souverain. Imaginez alors la surprise des archéologues lorsqu'ils découvrirent douze momies, qui avaient été enterrées avec Amenhotep II.
Une chambre funéraire enfoncée dans le tombeau d’Amenhotep II abrite son sarcophage qui, à la grande surprise des archéologues qui le découvrirent en 1898, contenait encore la momie du pharaon.
Construits pour abriter les membres des familles royales égyptiennes et les protéger dans leur voyage vers l’au-delà, les tombeaux royaux sculptés dans la pierre près de l’actuelle ville de Louxor n’étaient destinées, pensait-on autrefois, qu’à un seul occupant. En 1881, une sépulture découverte près de Deir el-Bahari, dans la nécropole de Thèbes, fit voler en éclat ce préjugé. Au lieu d’une seule et unique momie royale, plusieurs momies furent découvertes dans une cache. Parmi les dépouilles, les archéologues identifièrent pas moins de onze pharaons du Nouvel Empire, splendide époque de l’Égypte ancienne, notamment Séthi Ier, dont la dépouille était absente du tombeau magnifique qui lui était dédié, et Ramsès II.
Connue sous le nom de « Cache royale », cette sépulture, que les experts appellent aussi TT320 ou DB320, abritait à l’origine les corps du grand-prêtre d’Amon et des membres de sa famille, qui vécurent autour de l’an 960 avant notre ère. Quand les égyptologues documentèrent le contenu de la tombe en 1881, plus de cinquante corps y furent découverts. Beaucoup, à l’instar de Séthi Ier et de Ramsès II, étaient des rois et des reines absents des tombes construites pour eux. Bien que la découverte de Deir el-Bahari ait révélé l’emplacement exact de ces têtes couronnées aux abonnés absents, nombreuses étaient celles qui demeuraient encore introuvables. Une autre cache impressionnante allait être découverte en 1898, cette fois-ci dans le tombeau d’un des plus grands pharaons égyptiens : Amenhotep II.
SUR LA PISTE DES PHARAONS
En 1897, Victor Loret fut nommé directeur du Service des antiquités de l’Égypte. Ce Français à monocle, remarquable égyptologue de son temps, concentra ses efforts sur la Vallée des Rois voisine, site abritant les tombes souterraines de nombreux pharaons du Nouvel Empire.
Ses efforts furent bientôt récompensés. Le 12 février 1898, Victor Loret et son équipe découvrirent la tombe de Thoutmôsis III, un des plus grands pharaons militaires d’Égypte, qui repoussa les limites de son territoire jusqu’au nord de la Syrie au milieu du 15e siècle avant notre ère. Comme tant d’autres tombeaux royaux, le sien avait été pillé durant l’Antiquité. Néanmoins, une partie des artefacts funéraires du pharaon guerrier nous sont parvenus. Moins d’un mois plus tard, le 9 mars, des membres de l’équipe de fouilles de Victor Loret aperçurent l’entrée d’un autre tombeau situé au pied du cirque qui ceint la Vallée des Rois. Accompagné d’un raïs, un superviseur local, Victor Loret alluma des bougies et entra.
Dans l’obscurité vacillante, lui et le raïs tombèrent sur une petite figurine parmi les décombres : un ouchebti gravé du nom d’Amenhotep III, fils de Toutmôsis III. Si l’indice était alléchant, il ne confirmait toutefois pas de manière définitive l’identité de l’hôte de la tombe. L’entrée et les couloirs en pente s’enfonçaient dans la montagne jusqu’à atteindre un puits qu’on avait à l’évidence un jour rempli d’objets funéraires magnifiques. Seuls des vestiges cassés subsistaient. Il était clair que cette tombe avait, elle aussi, été mise à sac durant l’Antiquité. Victor Loret, déçu, se dit qu’il n’y trouverait rien ou presque qui soit digne d’intérêt.
Cette statue d’Amenhotep II montre le pharaon s’agenouillant humblement devant les dieux et faisant une offrande dans une pose répétée à travers la longue histoire égyptienne.
LES PROFONDEURS DU TOMBEAU
En s’aventurant dans les profondeurs du complexe, Victor Loret et le raïs se retrouvèrent dans une salle rectangulaire étayée par deux piliers. Grâce à la faible lueur des bougies, ils purent distinguer la silhouette d’un bateau funéraire. Victor Loret fut ensuite accueilli par une vision « d’horreur ». « Un corps gisait là sur le bateau, tout noir et hideux, son visage grimaçant se tournant vers moi et me fixant, ses longs cheveux bruns en touffes éparses autour de sa tête. » Des voleurs l’avaient dépouillé de ses bandages et du moindre accessoire, le laissant nu mais intact sur le bateau.
Au bout de cette salle se trouvait un escalier que les deux hommes descendirent en restant sur leurs gardes. Il se retrouvèrent dans un petit couloir qui menait à une antichambre. De là, un autre couloir menait à une grande salle soutenue par six piliers. Des fresques pâles et colorées décoraient les murs de chaque côté. Les deux hommes découvrirent et identifièrent avec un enthousiasme de plus en plus palpable le nom d’Amenhotep II sur les murs. C’était là un nouvel indice que cet endroit était vraisemblablement la dernière demeure d’un des plus influents souverains et bâtisseurs du Nouvel Empire.
Avançant péniblement en écrasant des objets déjà cassés (du bois, des poteries et de l’albâtre), Victor Loret et le raïs parvinrent à un renfoncement dans le sol de la salle. Ils y découvrirent un grand sarcophage de pierre dont le couvercle manquait. À l’intérieur se trouvait un cercueil clos avec une couronne de feuilles séchées à son pied et des fleurs à sa tête. Étant donné le désordre laissé par les pillards dans le tombeau, était-il possible qu’ils aient laissé ce qu’aucun égyptologue jusqu’alors n’avais réussi à trouver ? La momie intacte d’un pharaon gisant encore dans son sarcophage…
Victor Loret poursuivit son exploration de la sépulture et découvrit à sa grande surprise trois corps momifiés supplémentaires dans les chambres funéraires adjacentes. Une inspection plus poussée révéla que leurs bandages avaient été arrachés par des pillards, laissant corps et visages à nu. Mais la tombe leur réservait encore d’autres surprises. L’embrasure de la porte d’une autre chambre adjacente avait été bloquée à l’aide de pierres imposantes. Victor Loret leva sa bougie pour regarder à travers les fissures et, grâce à sa lumière faiblarde, put distinguer neuf cercueils supplémentaires, dont cinq étaient encore couverts.
RESTES ROYAUX
La tombe qui venait d’être découverte, qu’on nommerait par la suite KV35, avait surpassé toutes les attentes. Victor Loret revint plus tard pour y entamer des fouilles et exhumer son contenu. Des boîtes tapissées de coton furent amenées afin de transporter les différentes momies. Après avoir déplacé les pierres qui obstruaient la chambre secondaire, Victor Loret commença à examiner les neuf corps qui se trouvaient à l’intérieur.
Après avoir épousseté l’épaisse couche de poussière qui recouvrait le couvercle du cercueil le plus proche, il put lire, non sans stupeur, un protocole royal comportant le nom de Ramsès IV. De cercueil en cercueil se révélèrent à lui les noms de Thoutmôsis IV, d’Amenhotep IV, de Mérenptah, de Séthi II, de Siptah, de Ramsès V et de Ramsès VI. Le neuvième cercueil était celui d’une femme dont l’identité demeure incertaine. Comme avec la Cache royale découverte seize ans auparavant à Deir el-Bahari, le Français était tombé sur un groupe de momies déplacées parmi lesquelles se trouvaient certains des pharaons les plus puissants et les plus révérés du Nouvel Empire.
LA MOMIE DU PHARAON ?
Mais si cette sépulture était une dernière demeure secrète pour ce groupe de momies royales, était-il possible que le corps d’Amenhotep II s’y trouve encore ? La réponse résidait dans le sarcophage situé au niveau inférieur de la chambre funéraire. Victor Loret n’avait pas daigné troubler son contenu lors de sa première rencontre avec le cercueil, mais il était préparé à l’examiner de manière plus minutieuse désormais.
Il retira la couronne de feuilles du pied du cercueil et constata avec horreur que celle-ci couvrait un trou dans le bois. Était-il possible que les pilleurs en aient extrait la momie ? Victor Loret enfonça la main dans le trou mais ses doigts n’y trouvèrent que du vide. Des moments de tension suivirent tandis que lui et ses collègues tentaient de desceller le couvercle du cercueil. Là, devant lui, se trouvait une momie intacte.
Le cercueil était sensiblement plus long que le corps qui y gisait, ce qui expliquait pourquoi la main de Victor Loret (et peut-être celle d’un pillard plus ancien) n’avait rien senti. Ce corps a été attribué à Amenhotep II, qui mourut vers l’an 1400 avant notre ère après avoir régné sur l’Égypte pendant près de trois décennies.
MOMIES DISPARUES
En ajoutant les momies découvertes dans la cache de Deir el-Bahari seize ans plus tôt aux corps du KV35, les pharaons de la 18e dynastie (1549 av. J.-C. à 1292 av. J.-C.) étaient presque au complet. Certains pharaons retrouvés là faisaient même partie des 19e et 20e dynasties. Cette dernière prit d’ailleurs fin avec le règne de Ramsès XI autour de l’an 1077 avant notre ère.
La pratique consistant à se servir de tombeaux existants pour protéger des momies royales antérieures a commencé durant une période de déclin lors de la 21e dynastie (1077 av. J.-C. à 950 av. J.-C. environ). Les égyptologues s’aperçurent que les tombeaux où les pharaons avaient d’abord été enterrés étaient à cette époque en train d’être pillés. Afin de protéger leurs ancêtres, les prêtres de la 21e dynastie réaffectèrent le tombeau de Deir el-Bahari qui avait été construit pour un grand-prêtre. Quand cette cache atteignit sa capacité maximale, on eut recours au KV35. Ce choix était à l’évidence un bon choix : les rois les plus puissants d’Égypte sommeillaient là en paix jusqu’à ce que Victor Loret n’entre avec sa bougie en 1898.
La plupart des momies du KV35 furent extraites du tombeau et emmenées au Musée égyptien du Caire, mais le corps d’Amenhotep II resta sur place. En 1901, des voleurs entrèrent par effraction dans la tombe. Ils endommagèrent la barge funéraire, fracassèrent la momie qui y gisait, et volèrent la dépouille d’Amenhotep II. Howard Carter, l’égyptologue qui a par la suite découvert le tombeau de Toutânkhamon, poursuivit les coupables et récupéra la momie du pharaon, endommagée lors du vol. Celle-ci fut retournée à son sarcophage. Ce n’est qu’en 1931 qu’Amenhotep II, ancêtre d’Akhenaton et de son fils probable Toutânkhamon, dont la tombe fut découverte en 1922, a été emmené au Caire.
La Vallée des Rois, en photo ici, est la dernière demeure de nombreux pharaons. Connu par les égyptologues sous le nom de KV35, le tombeau d’Amenhotep II recélait de nombreuses momies.
ARBRES GÉNÉALOGIQUES
Bien que l’on connaisse les noms de plusieurs occupants du KV35, l’identité de trois momies (deux femmes et un jeune homme) fait beaucoup parler. Le jeune homme avec une natte serait un prince, mais les spécialistes ne s’accordent pas sur son identité. Certains pensent qu’il s’agit du prince Webensennu, fils d’Amenhotep II, tandis que d’autres avancent qu’il s’agit de Thoutmôsis, fils aîné d’Amenhotep III. Initialement, Victor Loret était parti du principe que la momie gisant sur le bateau dans la chambre pillée était celle du prince Webensennu, mais à la grande frustration des égyptologues, la destruction du corps lors de l’effraction de 1901 anéantit les chances de pouvoir produire un jour une identification irréfutable.
Une des momies de femme fut d’abord identifiée comme celle d’un homme par Victor Loret à cause de son crâne rasé. Ce n’est que plus tard que l’on détermina qu’il s’agissait bel et bien d’une femme. On l’appelle désormais communément la Jeune Dame. L’égyptologue britannique Joann Fletcher insinua en 2003 qu’il s’agissait de Néfertiti, mais un test ADN réalisé en 2010 montra que la Jeune Dame était en fait la mère de Toutânkhamon, dont le nom demeure inconnu à ce jour.
La troisième momie, la Dame Âgée, a de longs cheveux lâchés, un indice utile pour déterminer son identité. Une mèche de cheveux fut découverte dans la tombe de Toutânkhamon, nichée dans de petits cercueils gigognes portant le nom de celle qui était vraisemblablement sa grand-mère, la reine Tiyi, grande épouse royale d’Amenhotep III. Grâce à des analyses, on sait que l’échantillon capillaire de la Dame Âgée correspond aux cheveux de la tombe de Toutânkhamon. En 2010, un test ADN confirma ces résultats, ce qui permit de mettre un nom sur la momie de la reine Tiyi, qui repose désormais au Musée national de la civilisation égyptienne.
La découverte du tombeau intact de Toutânkhamon par Howard Carter en 1922 est souvent saluée comme la plus grande des découvertes jamais réalisées en Égypte. Mais les relations familiales complexes et enchevêtrées entre l’enfant roi et ses ancêtres fut mieux comprise grâce à la quantité astronomique d’informations révélées par la découverte de Victor Loret dans le KV35 et à Deir el-Bahari. Prises ensemble, ces découvertes successives de la fin du 19e siècle et du début du 20e permirent d’étoffer les vies et les relations des puissants protagonistes royaux de cette époque lointaine.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.