Cyrus le Grand était-il un conquérant tolérant ?
Des sources grecques présentent les rois achéménides comme des dirigeants décadents et sans pitié. Tous, sauf Cyrus le Grand. Pourquoi ce roi ennemi faisait-il exception ?

Cyrus le Grand, dont l’Empire perse s’étendait de la Turquie à l’Inde au cours du 6e siècle av. J.-C. représenté portant une coiffe, gravure du 19e siècle apr. J.-C.
Les rois achéménides gouvernèrent la Perse entre les 6e et 4e siècles av. J.-C. mais ce que nous savons d’eux aujourd’hui vient plus des Grecs que des Perses. Les différents écrits laissés par les auteurs grecs peignent un portrait décadent et velléitaire des Perses, dirigés par une lignée de soi-disant grands rois. La culture perse était souvent opposée avec l’austérité d’Athènes et de Sparte. Les histoires des rois perses, distillées dans les travaux de philosophie, d’histoire et de théâtre grecs mélangent observations de première main et une large dose de fiction et de fantaisie. Il faut par ailleurs mentionner que les Grecs se sentaient grandement menacés par la puissance de la Perse.
Les guerres médiques ont opposé les deux peuples durant un demi-siècle, de 499 à 449 avant notre ère, et les Grecs se démenaient pour garder la puissance perse en échec. Cette rivalité a façonné la manière dont les écrits des penseurs grecs furent rédigés. Les rois achéménides faisaient montre, disaient-ils, des vices les plus ignobles : arrogance et cruauté, fainéantise et velléité, adorateurs de la luxure et aisément séduits par les espions dissimulés dans leurs harems. Le portrait grec des rois perses était celui d’un stéréotype de dirigeants barbares d’un monde étranger où régnaient violence et cruauté.
À cette règle déroge cependant un roi : Cyrus II, que l’on connaît également sous le nom de Cyrus le Grand. Les sources grecques présentent, en général, une vision très différente de son règne, qui a vu la création de l’Empire achéménide perse. Les terres sur lesquelles il régnait s’étendaient de l’Asie Mineure à la vallée de l’Indus, le plus grand empire de son temps.
Ce fut au travers d’une série de brillantes campagnes militaires que Cyrus le Grand parvint à conquérir la totalité des grands États du Proche-Orient, exception faite de l’Égypte, en à peine onze ans, de 550 à 539 av. J.-C. Il commença par vaincre les Mèdes, au Nord-Ouest de l’actuel Iran, puis le royaume de Lydie dirigé par Crésus dans notre Turquie moderne, avant de se tourner vers l’Empire babylonien de Mésopotamie. Sous le règne de Cyrus, l’Empire perse détenait le pouvoir hégémonique en Orient.
Bien qu’il débutât son règne en tant que vassal de l’empire mède, contre lequel il finit par se soulever, Cyrus était un combattant preux et efficace. Mais il marqua tout de même l’Histoire en étant un dirigeant humain et un libérateur, respectueux des coutumes, lois et religions des peuples qu’il conquérait. L’ancien monde chantait les louanges de cet aspect de son règne, qui contribua également au portait que l’on dressa de lui au cours des siècles.
CYRUS II SELON HÉRODOTE
Cyrus, père de l’Empire achéménide, apparaît dans les écrits grecs comme un dirigeant exemplaire et un roi clément, un portait que viennent appuyer les sources babyloniennes et hébreuses. Dans les écrits de l’historien grec Hérodote, qu’il rédigea un siècle après la mort de Cyrus, le roi est décrit comme bienveillant, brave et proche de ses soldats. Et c’est Hérodote qui fournit l’un des récits les plus complets des origines de Cyrus, même s’il tombe parfois dans des éléments clairement légendaires. Il écrit qu’Astyage, dernier roi de Médie et grand-père de Cyrus, vit en rêve la prise de son trône par son petit-fils.
Avant l’émergence de l’Empire achéménide, la Perse se trouvait sous le contrôle de la Médie durant de nombreuses années, elle était sa vassale. Afin d’éviter que son petit-fils Cyrus, encore un nourrisson à l’époque, ne devînt une menace à son règne, le roi Astyage ordonna à son général de tuer l’enfant. Il n’en fit cependant rien, pris de pitié pour le bébé, et le confia en secret à la garde d’une humble famille de bergers. Alors que le jeune Cyrus vivait les aléas de sa jeunesse, sa témérité et ses qualités de meneur le faisaient sortir du lot. Ce qui, inévitablement, conduisit Astyage à découvrir sa véritable identité. Plus tard, un conflit entre les Perses, menés par Cyrus, et les Mèdes, menés par Astyage, émergea et les Perses en ressortirent vainqueurs.

Dans une peinture de 1789, Jean-Charles Nicaise Perrin raconte l’histoire de Cyrus, bébé, dont on avait ordonné la mort. Pour le sauver, l’enfant mort-né d’un berger (à gauche) est fait passer pour Cyrus tandis que le jeune garçon (à droite) revêt son identité et survit.
Hérodote décrit le besoin que Cyrus avait de gagner la confiance de ses soldats après avoir pris la décision de se rebeller contre les Mèdes. Il leur confia alors une tâche : passer la journée à désherber un champ de chardons. Le lendemain, ils rentrèrent et découvrirent qu'un festin les attendait. Une fois repus, Cyrus leur demanda ce qu’ils préféraient : rester les esclaves des Mèdes et accomplir leurs basses besognes, comme se débarrasser des chardons, ou bien se défaire de leur joug, gagner leur liberté et vivre dans l’abondance de leur propre empire.
Cet épisode donne un aperçu des talents que Cyrus avait pour motiver ses troupes, pour les préparer à la guerre ; un facteur qui fut décisif pour ses conquêtes. Hérodote écrit que les Perses appréciaient Cyrus au point de le considérer comme une figure paternelle. Une affirmation soutenue par Plutarque, un autre historien grec : « Les Perses adorent les nez aquilins car Cyrus, leur roi bien-aimé, avait un tel nez. »
Hérodote mentionne cependant les comportements inquiétants dont faisait montre Cyrus à la fin de sa vie. Il cite, en exemple, l’étrange punition que le roi infligea à la rivière Gyndes (possiblement l’actuelle rivière Diyala) après la noyade de l’un de ses chevaux dans ses eaux. Pour se venger, Cyrus aurait fait travailler son armée un été durant, à diviser ce tributaire du Tigre en 360 chenaux. Les cours d’eaux étaient sacrés pour les Perses, il s’agissait d’un acte aussi irrationnel qu’il était sacrilège.

Hérodote associe également ce comportement aux circonstances dramatiques qui entourent la mort de Cyrus. Selon ses écrits, Cyrus périt en combattant les Massagètes, un peuple nomade d’Asie centrale dirigée par la reine Tomyris. Après sa mort, le corps de Cyrus fut profané par la reine, qui cherchait à venger la mort de son fils. Toujours selon l’historien, cette dernière campagne militaire était motivée par l’arrogance de Cyrus, un hybris pour lequel les dieux le punirent.
Hérodote se sert de cette narration pour pousser une réflexion sur la dégénérescence du pouvoir perse. Il déclare que les conquêtes de Cyrus s’enchaînaient, que son peuple et lui commencèrent à abandonner l’austérité et la discipline de leurs premiers jours pour se vautrer dans l’opulence et la facilité. Hérodote et plusieurs autres auteurs grecs voient là un changement de comportement qui instigua la décadence de l’Empire perse et la corruption de ses grands rois.
UNE VISION ROMANCÉE
La Cyropédie de Xénophon est une biographie idéalisée de Cyrus, décrit comme un roi philosophe. Xénophon, philosophe et historien athénien qui vécut entre les 5e et 4e siècles av. J.-C., soutenait l’idée d’une monarchie et projetait en Cyrus sa vision d’un monarque idéal. Le Cyrus que décrit sa Cyropédie se doit d’être lu comme un personnage de fiction, créé par Xénophon pour refléter ses propres vues politiques. Pour l’écrire, le philosophe s’est inspiré de ses prédécesseurs grecs tels qu’Hérodote mais il avait également une connaissance directe du monde perse. De 401 à 399 av. J.-C., il avait pris part à l’expédition des Dix-Mille en tant que membre de l’armée des mercenaires grecs qu’avait recrutée un autre Cyrus de la dynastie achéménide.
Cyrus le Jeune souhaitait se soulever contre l’autorité de son frère, le roi Artaxerxès II. C’est au cours de cette campagne militaire que Xénophon avait dû entendre parler de la vie de Cyrus II, embellie par la tradition perse. Il décrit Cyrus le Grand comme un roi studieux, juste, généreux, affectueux avec ses hommes, brave et assoiffé de gloire. Cyrus le Grand, décrit par Xénophon, correspond au cliché du grand roi, si populaire et typique des histoires perses de l’époque. Il était beau et fort et ses qualités royales étaient évidentes dès l’enfance.
L’Athénien raconte que Cyrus le Grand s’adonnait pieusement à ses devoirs religieux, s’attirant ainsi la faveur des dieux. Pour faire simple, la grand roi était « un excellent souverain » parce qu’« il était si différent de tous les autres rois ». Cette vision positive est soutenue par Diodore de Sicile, qui écrit que Cyrus « était prééminent parmi les hommes de son temps, en bravoure et sagesse et autres vertus car son père [Cambyse Ier] l’éleva dans la manière des rois et lui légua le zèle d’émuler les plus grands accomplissements ».


Source de conflits depuis l’Âge de Bronze, Babylone était au summum de sa splendeur sous le règne de Nabuchodonosor II. Après la conquête de la cité par Cyrus en 539 av. J.-C., elle s’étendait sur plus de 10 kilomètres carrés et était probablement la plus grande ville sur Terre. Cette image montre une reconstitution des années 1980 d’une partie de son mur d’enceinte.
La cité de Sardes, en Turquie, était la capitale du riche royaume de Lydie. Elle tomba aux mains de Cyrus en 545 av. J.-C. après un siège de deux semaines. Les troupes perses détruisirent une grande partie de la cité, qui fut plus tard reconstruite.
Un grand nombre des conquêtes de Cyrus, comme en Médie et en Lydie, sont souvent attribuées à son expertise militaire. La chute de Babylone est cependant également du fait de son roi, Nabonide, qui manqua d’honorer son dieu protecteur, Marduk, causant des dissensions et créant l’opportunité d’invasion. La tolérance religieuse de Cyrus, l’abolition du travail forcé et la libération des Juifs lui attira les louanges de la ville.
Xénophon affirme que le grand roi exhortait ses sujets, proclamant : « Après les dieux, témoignez toutefois votre respect à toutes les races des hommes alors qu’elles défilent en une perpétuelle succession ». Il s’agit d’un indicateur des qualités humaines de Cyrus, qui le posaient sur un piédestal aux yeux de l’historien grec. La Cyropédie raconte une version différente de la mort du roi : il ne mourut pas au combat, comme l’affirme Hérodote, mais dans son palais, entouré de ses fils. Xénophon ajoute que sa mort vint au cours d’une conversation sur l’immortalité, alors que Cyrus encourageait son public à mener des vies dignes et pieuses. Cette scène rappelle la mort de Socrate, le mentor de Xénophon, qui s’ôta la vie en la compagnie de ses amis et de ses suivants après sa condamnation à mort par Athènes.
PLATON ET CTÉSIAS
Le philosophe Platon, un autre disciple de Socrate, fait, lui aussi, référence à Cyrus, le présentant comme un modèle de justice et de sagesse. Selon le philosophe, les Perses, sous la main de Cyrus, maintenaient le bon équilibre entre servitude et liberté. Cette capacité leur permit de devenir les maîtres d’un empire. Mais après le règne de Cyrus, l’équilibre fut rompu et ses successeurs succombèrent à la luxure, la décadence et aux plaisirs du harem. Des vices qui menèrent inévitablement à la chute de l’empire.
Les auteurs grecs ne chantent toutefois pas tous les louanges de Cyrus. Ctésias, par exemple, était un physicien et historien grec qui, entre les 5e et 4e siècles av. J.-C., servait à la cour du roi perse Artaxerxès II. Là-bas, écrit Ctésias, il eut le loisir de consulter directement les annales des Achéménides. Les écrits de Ctésias sur Cyrus sont empreints d’hostilité et de suspicion et s’opposent aux précédents récits. Selon l’historien, les origines de Cyrus ne seraient pas aussi nobles que le clament Hérodote et Xénophon. Le passé, humble et nomade, de Cyrus lui donne tout d’un barbare, en total désaccord avec le mode de vie civilisé de la société grecque. Et son ascension au trône n’était, elle non plus, pas aussi glorieuse. Selon le récit de Ctésias, après sa rébellion contre le roi des Mèdes Astyage, Cyrus aurait tué le gendre du roi et épousé sa fille Amytis. En d’autres termes, Cyrus était un usurpateur et n’avait aucun droit sur le trône mède. Et le récit de sa mort diffère également chez Ctésias, qui affirme que le roi mourut des suites d’une blessure à la cuisse, infligée au cours d’une confrontation avec les Derbices, un peuple de l’Est de l’Iran.

Commandé au cours du 19e siècle, dicté par l’appétit pour l’art historique dramatique, ce mezzotinto de l’artiste anglais John Martin, qui fut plus tard colorisé, imagine les forces de Cyrus lors de la conquête de Babylone. Dans le récit d’Hérodote, Cyrus prend la ville après une courte bataille. Les Chroniques Babyloniennes de Nabonide suggèrent une chute rapide de la cité. Cependant, une partie de ces chroniques furent rédigées sous le règne de Cyrus, témoignant d’un biais perse contre le règne de Nabonide et de son culte d’un autre dieu.
UN ROI PEU PIEUX
Pour finir, Isocrate, un orateur et politicien athénien, fait également mention de Cyrus mais ne considère en rien que ses actions étaient pieuses ou justes. Au sujet de la guerre entre les Mèdes et les Perses, Isocrate écrit qu’après la défaite d’Astyage, roi des Mèdes et grand-père de Cyrus, Cyrus le condamna injustement à mort. Ce récit se doit d’être lu en ayant en tête son contexte. Isocrate était un défenseur de l’union grecque contre la menace perse. Ses opinions sur les Perses pourraient avoir influencé sa description négative.
Malgré ses détracteurs, Cyrus II reste le roi achéménide le mieux traité par la tradition grecque. Il était souvent présenté comme un monarque idéal, l’exemple du souverain sage, pieux et juste. Selon la tradition grecque, le déclin de l’Empire perse commença avec son fils, Cambyse II. De là, selon les sources grecques du moins, la Perse ne fut dirigée que par des despotes cruels et impies. Xerxès Ier, le roi achéménide qui osa s’attaquer à la Grèce continentale en 480 av. J.-C., fut le pire de tous. Les descriptions biaisées des Grecs de la monarchie perse ont influencé la représentation des Achéménides jusqu’à aujourd’hui.

D’anciens auteurs attribuent cette structure à pignon située près du site de Pasargades, en Iran, comme étant la tombe de Cyrus. Une source donne une trace écrite de son épitaphe, qui n’a pas encore été découverte : « Mortel, je suis Cyrus le Grand, père de l’Empire perse […] alors ne jalouse pas ma tombe ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
