Ramsès II régna 66 ans, eut 100 enfants... et sema le chaos en Égypte
Si le célèbre pharaon laissa derrière lui une liste monumentale d'œuvres d'art et d'exploits en tout genre, sa réticence à léguer le trône mena finalement à l'effondrement de sa dynastie.
Peu d’individus dans l’histoire de l’Égypte suscitèrent autant de curiosité (et de scepticisme) que Ramsès II, ou Ramsès le Grand, troisième pharaon de la XIXe dynastie.
Aujourd’hui, Ramsès II est sans doute principalement connu pour le nombre monumental d’œuvres qu’il laissa derrière lui (palais, temples, statues, stèles), et qui vantent tous ses exploits de pharaon. Chaque bataille était triomphale, chaque construction spectaculaire, chaque statue et œuvre publique magnifiques, et chaque acte était une prouesse quasi surhumaine.
Lorsqu’elle arriva au pouvoir, la famille de Ramsès n’était pas à sa place : plutôt que des sudistes issus des cercles d’élite de Thèbes, ses membres étaient des nordistes originaires du delta du Nil qui s’étaient élevés grâce à leurs rôles dans l’armée. Cherchant à obtenir du soutien, Ramsès II utilisait ces monuments massifs pour attirer l’attention du peuple dans le cadre d’une campagne visant à proclamer sa grandeur aux yeux de tous. Il vécut environ quatre-vingt-dix ans, et régna pendant presque soixante-dix ans. Bien que ses réalisations publiques soient très connues des égyptologues grâce à ses campagnes de construction, des questions demeurent quant à sa vie matrimoniale et parentale.
LES GRANDES ÉPOUSES ROYALES
L’un des aspects les plus frappants de la vie de Ramsès II concerne les femmes qui l’entouraient : ses grandes épouses et ses concubines royales, ses épouses secondaires et ses filles, qu’il lui arrivait d’épouser (on ignore encore si ces « unions » incestueuses étaient destinées à être consommées, ou si elles servaient de vitrine politique). Il eut un nombre faramineux de fils et de filles : selon certaines sources, il en aurait eu plus d’une centaine qui, pour beaucoup, décédèrent avant lui en raison de la longévité de son règne.
De toutes ses épouses, seules deux eurent des rôles importants : Néfertari et Isis-Nofret, les deux premières grandes épouses royales de Ramsès II. Tandis que la première figure de manière évidente dans les sources égyptiennes, et qu’il en existe d’innombrables représentations, nous n’avons que très peu de traces de la seconde, ce qui laisse à penser que Ramsès souhaitait cacher son existence. Quelles pouvaient être les raisons d’une telle inégalité de traitement ?
Lorsqu’il devint co-régent avec son père, Séthi Ier, Ramsès II reçut un palais à Memphis, situé au sud du delta du Nil, ainsi qu’un grand harem, comprenant les deux premières grandes épouses royales. Si l’on ignore les origines de Néfertari et d’Isis-Nofret, cela n’empêcha le développement des folles spéculations à leur sujet. Tout porte à croire que Néfertari était l’épouse préférée de Ramsès II. Les statues et les peintures de sa tombe, située dans la Vallée des Reines, attestent de sa beauté.
Difficile cependant de savoir à quoi elle ressemblait réellement, certaines représentations ouvrant la voie à certains doutes. À Karnak, par exemple, une petite statue de Néfertari se dresse au pied d’un colosse de Ramsès II. Par la suite, le pharaon Pinedjem Ier usurpa ce colosse et y fit inscrire son nom, modifiant potentiellement au passage les traits des deux figures. Se limita-t-il au changement de nom ? Ce beau visage appartient-il toujours à Néfertari ? Selon les égyptologues, ce serait bien la cas.
Néfertari prit part à des événements officiels aux côtés de Ramsès. Elle est représentée lors de son couronnement, au cours des fêtes du dieu Min et au moment de l'intronisation de Nebunenef comme grand prêtre d'Amon. Ses talents de diplomate aboutirent à la signature d’un traité de paix entre Ramsès et les Hittites, plusieurs années après que la bataille de Qadesh (env. 1274 avant notre ère) conduisit à une impasse entre les deux puissances.
Ramsès II fit preuve d’une nette préférence pour Néfertari, pour qui il fit preuve d’une dévotion digne d’une grande histoire d'amour. Lorsqu’il construisit le grand temple d’Abou Simbel, il veilla à ce que Néfertari, alors décédée, figurât sur la façade, aux côtés de sa mère, Tuya.
Dans ce temple, Néfertari est représentée en Sothis, déification de l’étoile Sirius dont l’apparition présageait la crue annuelle du Nil. Plus au nord, un autre temple, plus petit et creusé dans la roche, est dédié à Néfertari elle-même. Elle y est déifiée sous les traits de la déesse Hathor. Un hommage est gravé sur sa façade : « Néfertari, celle pour qui brille le soleil ».
Isis-Nofret était-elle la grande oubliée ? Il semblerait bien que oui. Jusqu’à la mort de Néfertari, vers la vingt-sixième année du règne de Ramsès II, le portrait d’Isis-Nofret n’apparut pas dans les nombreux temples que le roi fit construire en Nubie, ni dans ceux de Karnak et de Louxor, où l’on trouve diverses références à Néfertari. Isis-Nofret fut finalement représentée dans certains temples pour son lien avec ses enfants. En effet, si Néfertari fut davantage représentée qu’Isis-Nofret, c’est bien cette dernière qui mit au monde les deux enfants préférés de Ramsès II.
FILS ET FILLES
Ramsès II eut une centaine de fils et de filles avec les femmes de son harem. Parmi ses enfants reconnus, certains jouèrent des rôles importants, mais seuls les enfants de Néfertari et d’Isis-Nofret apparaissent sur ses monuments. Dans le temple de Beit el-Wali en Nubie, le jeune Ramsès, alors co-régent avec son père, est représenté en train de réprimer un soulèvement nubien. Le char royal du pharaon est flanqué de deux personnages : Amonherkhépeshef, son aîné, qu’il eut avec Néfertari, et Khâemouaset, le fils d’Isis-Nofret.
Selon les égyptologues, de tous ses fils, Khâemouaset était le préféré de Ramsès II. Au lieu de prendre les armes contre son frère aîné (également nommé Ramsès), Khâemouaset devint grand prêtre de Ptah, un titre dans la doctrine memphite équivalent au grand prêtre d’Amon à Thèbes. Il restaura également un certain nombre de pyramides au nom de son père. Son travail est encore visible sur la pyramide d’Unas, de la Ve dynastie.
Khâemouaset planifia et dirigea également les travaux des « galeries mineures », le Serapeum de Saqqarah, à savoir la nécropole consacrée à Apis, bœuf sacré de Memphis. Les fouilles du Serapeum menées par Auguste Mariette en 1850 mirent au jour la momie d’un homme nommé Khâemouaset, portant un masque d’or et accompagnée de plusieurs ouchebtis. L’identité de la momie s’est pourtant révélée incertaine et l’emplacement de la tombe de Khâemouaset n’est à ce jour pas confirmé. De nombreuses données suggèrent qu’elle se trouverait dans la nécropole de Saqqarah.
Les filles des grandes épouses royales de Ramsès II occupaient également des postes clés à sa cour. Nombre d’entre elles devinrent à leur tour de grandes épouses royales. À cette époque, il était en effet devenu habituel pour les pharaons de la XIXe dynastie d’épouser leurs propres filles. Alors que sa grande épouse royale Tiyi était encore en vie, Amenhotep III épousa leur fille Satamon. Plus tard, Akhenaton épousa au moins deux des filles qu’il avait eues avec la reine Néfertiti. On ignore si ces mariages étaient consommés ou purement cérémoniels.
Ramsès II nomma plusieurs de ses filles grandes épouses royales après la mort de Néfertari et d’Isis-Nofret. Bentanat (l'aînée d’Isis-Nofret) fut suivie de Mérytamon et Nebettaouy (filles de Néfertari) et de Hénoutmirê. En plus de ses filles, d’autres princesses extérieures à la famille portèrent le titre de grande épouse royale, comme Maâthornéferourê, fille du roi hittite, et une autre princesse hittite dont l’identité nous est inconnue.
Si Khâemouaset était le fils préféré de Ramsès II, tout porte à croire que Bentanat était sa fille préférée. Elle reçut le titre de grande épouse royale, mais aussi de « dame des deux terres » et de « souveraine de la Haute et de la Basse-Égypte ». Bentanat occupe également une place privilégiée sur la façade du temple d’Abou Simbel. Elle et sa sœur Nebettaouy apparaissent de part et d’autre du colosse. Certains historiens soutiennent que Nebettaouy était la fille d’Isis-Nofret, tandis que d’autres arguent qu’elle était la fille de Néfertari.
Un colosse de Ramsès II se dresse devant le temple de Louxor. Il porte la double couronne et brandit un flagellum et une crosse.
UN HÉRITAGE FRAGMENTÉ
Au cours de sa longue vie, Ramsès n’eut aucun mal à engendrer des héritiers avec ses nombreuses épouses. Ses fils durent cependant faire preuve de patience, leur père s’étant accroché au trône pendant soixante-six ans. Ramsès avait dispersé ses enfants dans les bureaucraties, les entreprises, le clergé et l’armée d’Égypte afin de susciter une loyauté qu’il n’inspirait pas naturellement. Il restait un étranger, un nordique originaire du delta du Nil, déconnecté des riches élites du sud de Thèbes. La force de Ramsès reposait non pas sur ses liens avec les classes financières ou religieuses, mais sur ses liens avec l’armée. En plaçant ses fils à des postes puissants dans toute l’Égypte, Ramsès renforça son emprise dans tous des domaines.
Lorsque Ramsès II mourut en 1213 avant notre ère, à l’âge de 91 ans, il avait déjà enterré nombre de ses fils. Amonherkhépeshef, fils aîné et prince héritier de Ramsès, mourut à l'âge de 25 ans. Khâemouaset ne survécut pas non plus à son père et mourut quinquagénaire, vers 1225 avant notre ère. Ce fut le treizième fils de Ramsès, Mérenptah, enfant d’Isis-Nofret, qui lui succéda. Ce dernier était âgé d’environ 60 ans, un âge très avancé pour l’époque, lorsqu’il devint pharaon et revêtit la double couronne d’Égypte.
Après avoir espéré accéder au trône des dizaines d’années durant, Mérenptah s’attendait probablement à avoir un règne aussi stable que celui de son père. Cependant, au cours de ses dix années de règne, ses troupes durent protéger l’Égypte d’une série d’attaques ennemies à l’est et à l’ouest. Après la mort de Mérenptah, les graines semées par son père finirent par mener au chaos : des rivaux souhaitant accaparer le trône (dont peut-être des fils de Ramsès II) firent entrer l’Égypte dans une période de déclin et de guerre civile. La XIXe dynastie de pharaons prit fin aux alentours de 1186 avant notre ère.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.