Qui était vraiment Merlin l’Enchanteur ?
Les auteurs médiévaux transformèrent des rumeurs au sujet d’un barde obscur en légendes mettant en scène un redoutable sorcier qui aurait placé Arthur sur le trône de Camelot.
En échange de l’utilisation de ses pouvoirs magiques pour aider le roi Uther à séduire la femme d’un noble, Merlin demande au monarque de lui laisser le fruit de leur union, Arthur, à la naissance. Sur cette peinture à l’huile d’Emil Johann Lauffer, on le voit à cheval, en train de tenir le futur roi.
Les vieux sages dotés de pouvoirs magiques et parfois d’une longue barbe blanche constituent l’archétype du sorcier. Ces hommes mystiques possèdent des pouvoirs magiques qui peuvent servir à faire le bien… ou le mal. Et la littérature en regorge. Prospero, protagoniste de La Tempête, œuvre de William Shakespeare, est un duc milanais en exil qui acquiert des pouvoirs magiques alors qu’il est naufragé sur une île. Le personnage principal du Magicien d’Oz, roman de L. Frank Baum paru en 1900 et adapté au cinéma par Victor Fleming en 1939, est un mystérieux magicien qui règne sur la Cité d’Émeraude. Dans la trilogie du Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien, parue dans les années 1950, Gandalf, invétéré fumeur de pipe, est un conseiller bienveillant mais puissant. Enfin, la saga Harry Potter, série littéraire dont la publication a commencé dans les années 1990, compte parmi ses personnages le bienveillant Albus Dumbledore, directeur de l’école de sorcellerie Poudlard, qui met ses pouvoirs au service de l’intérêt général.
Un seul et unique sorcier qui inspira tous les autres : Merlin l’Enchanteur. Les siècles l’ont vu se transformer depuis sa première apparition dans la littérature médiévale ; le barde gallois qu’il était devint, avec le temps, un sorcier protéiforme. Il est au cœur de la légende arthurienne et c’est l’un de ses personnages les plus captivants.
ORIGINES OBSCURES
Le tout premier Merlin n’était pas un sorcier. Des sources du Moyen Âge parlent d’un barde ou d’un poète gallois du 6e siècle, Myrddin Wyllt, qui vécut à la cour de Gwendoleu, roi des territoires galoisants du sud de l’Écosse et du nord de l’Angleterre. Selon la légende, Gwendoleu fut tué en 573 lors de la bataille d’Arfderydd, et le carnage aurait rendu Myrddin fou. Ce dernier s’enfuit dans les forêts d’Écosse, où il aurait mené une vie d’ermite sauvage durant cinquante années au cours desquelles il ne s’exprima plus que par des vers cryptiques et acquit le don de prophétie.
Le sorcier est victime de la sorcellerie de la Dame du Lac qui, selon Thomas Malory, aurait donné Excalibur au roi Arthur.
Dans la tradition celtique, bardes et poètes sont associés au fait de prédire l’avenir. Myrddin Wyllt apparaît en tant que prophète dans un poème du 10e siècle, Armes Prydein (La Prophétie de Bretagne), qui prédit comment une alliance entre Celtes et Vikings du nord de l’Irlande allait chasser les Anglo-Saxons de Grande-Bretagne.
UN MAGICIEN ÉMERGE
Merlin prit une forme plus familière dans les textes de Geoffroy de Monmouth, auteur gallois du 12e siècle. Revisitant habilement la tradition galloise, il fit de Merlin une figure centrale de ses trois livres : Prophéties de Merlin, le poème Vie de Merlin et Histoire des rois de Bretagne, son œuvre la plus connue. Si le protagoniste de Vie de Merlin ressemble au Myrddin Wyllt de la tradition galloise, c’est le « nouveau » Merlin qui apparaît dans les Prophéties (qui sont inclues dans le livre VII de son Histoire). Dans cette version toute personnelle, Merlin est un puissant sorcier qui permet au roi Arthur de s’emparer du trône d’Angleterre. Pour créer ce personnage, Geoffroy de Monmouth s’inspira de l’Historia Brittonum, ouvrage attribué à Nennius, moine gallois du 9e siècle.
Le livre de Nennius raconte l’histoire de Vortigern, roi malveillant et usurpateur du trône qui permit aux Saxons de s’installer sur l’île de Grande-Bretagne. Vortigern désire construire un château, mais chaque fois qu’il essaie, les fondations disparaissent. Ses magiciens lui disent que la seule façon de les stabiliser est de trouver un garçon sans père, de le sacrifier et de baigner les fondations dans son sang. Ils capturent donc un garçon, Ambrosius (Merlin), fils d’une nonne qui affirme être vierge. Le jeune homme se confronte aux magiciens et affirme que deux vers géants, l’un rouge, l’autre blanc, résident sous les fondations instables du château et se livrent une âpre lutte. Selon Ambrosius, leur combat est un présage du conflit à venir entre Bretons et Saxons.
FILS DU DÉMON
Geoffroy de Monmouth fondit le personnage de Merlin, au sujet duquel peu de choses avaient été écrites à ce moment-là, avec celui du jeune Ambrosius de l’histoire de Nennius, et il enrichit la narration de nouveaux détails. Dans son récit, la mère de Merlin est toujours nonne, mais l’enfant a été conçu avec un incube, un démon masculin. Au Moyen Âge, on croyait que les démons étaient plus intelligents que les humains et qu’ils pouvaient présager du cours des événements. Dans l’œuvre de Geoffroy de Monmouth, Merlin hérite de ces qualités, dont il se sert pour faire le bien. Geoffroy de Monmouth combina les caractéristiques de la divination telle que présentée dans la mythologie païenne avec une promotion des valeurs chrétiennes et créa ainsi un mélange unique d’éléments historiques et légendaires.
Une autre différence est que Geoffroy de Monmouth changea les deux vers qui se battent en deux dragons qui ferraillent, l’un rouge et l’autre blanc. Merlin explique que le dragon rouge représente les Bretons et que le blanc représente les Saxons, qui finiront par remporter la victoire. Dans cette prophétie, il prédit en substance les débuts de la légende arthurienne. Mais il ne s’arrête pas là. Merlin présente en tout et pour tout une centaine de prophéties, et annonce notamment la domination d’Arthur et le cours de l’avenir imprévisible de l’Angleterre.
Le « nouveau » Merlin de Geoffroy de Monmouth fut un grand succès, au point que l’auteur anglo-normand Wace, qui voyagea de part et d’autre de la Manche, traduisit l’Histoire dans sa langue vernaculaire. Le résultat fut le Roman de Brut, un poème de près de 15 000 vers écrit en normand et achevé vers l’an 1155. Celui-ci contient la première apparition littéraire de la Table ronde ; beaucoup croient que cette dernière était avant cela présente dans une tradition orale. Le Roman de Brut n’est pas qu’une traduction. Wace modifia l’œuvre à son goût. Par exemple, il expurgea les prophéties de Merlin. Sa justification était que de nombreux passages étaient incompréhensibles, mais il est possible qu’il ait cherché à éluder leur nature politique.
MERLIN À LA COUR DU ROI ARTHUR
Un nouveau développement narratif dans l’histoire de Merlin fit son apparition au 12e ou au 13e siècle grâce à l’auteur Robert de Boron. Inspiré par Wace, il composa son Merlin en vers, mais seuls des fragments de cette œuvre nous parvinrent. Le texte fut plus tard reformulé en prose, vers 1210, peut-être par Robert de Boron lui-même, et grâce à cela, le contenu du poème put être préservé.
L’œuvre de Robert de Boron s’ouvre avec un clerc nommé Blaise, qui est bien déterminé à écrire sur Merlin et qui explique qu’il est en train de traduire une histoire en latin dictée par Merlin en personne. Après cette introduction, la scène change, et le lecteur apprend qu’à la naissance de Merlin, un conseil de démons a conspiré pour faire du bébé une sorte d’antéchrist, leur agent sur Terre. Leurs plans échouent, car l’enfant est baptisé par sa mère et parce qu’il devient chrétien, bien qu’il soit le fils d’un incube. Merlin est un personnage positif, malgré sa naissance démoniaque et malgré certains aspects qui le relient à la magie préchrétienne, comme la capacité à se métamorphoser à l’envi.
Vortigern réapparaît ensuite dans le texte de Robert de Boron, et sa mort est prédite par Merlin. Le sorcier se joint au nouveau roi Pendragon et à son frère Uther dans leur guerre contre l’envahisseur saxon. Merlin fait ériger Stonehenge en l’honneur des guerriers morts au combat et crée la Table ronde. C’est également Merlin qui arrange la rencontre entre Uther et Ygraine, la femme du duc de Cornouailles. Leur union donne naissance à Arthur, dont Merlin sera le mentor. Le texte s’achève par l’épisode où Arthur remporte la couronne britannique après avoir réussi à extraire Excalibur de son rocher.
Merlin continua à évoluer à partir de la représentation qu’en avait fait Robert de Boron dans son œuvre, qui posa l’entière fondation du reste des légendes à venir sur le roi Arthur et sur Camelot. Au 15e siècle, La Morte d’Arthur, œuvre de Sir Thomas Malory composée vers 1470, raconte de nouveau la légende arthurienne de manière chronologique en commençant par la naissance du roi. Dépeint comme le mentor d’Arthur, comme décisif dans chaque aspect de sa vie, le Merlin de Malory est le point culminant de toutes les autres versions du puissant sorcier.
LA MÉTAMORPHOSE DE MERLIN
La magie de Merlin continua à inspirer différents portraits du personnage dans des genres bien différents jusqu’à l’ère moderne. Dans son roman Un Yankee à la cour du roi Arthur (1889), Mark Twain dépeignit Merlin sous les traits d’un escroc. Le poète et réalisateur français Jean Cocteau, fit de Merlin le Magicien un vieil homme cruel et manipulateur dans sa pièce Les Chevaliers de la Table ronde (1937).
L’une des œuvres les plus mémorables à ce sujet fut produite en 1960. Il s’agit de la comédie musicale de Broadway Camelot, inspirée d’une série de romans de l’écrivain T.H. White, La Quête du Roi Arthur (1938-1977), dans laquelle Merlin est un professeur empoté mais plein de sagesse qui encourage le jeune Arthur à penser par lui-même.
Robert de Boron attribue à Merlin la construction du cercle de pierres imposant de Stonehenge, érigé en l’honneur de combattants morts.
De nombreux films adaptèrent la légende arthurienne, c’est par exemple le cas du grandiose Excalibur, film de 1981 réalisé par John Boorman avec Nicol Williamson dans le rôle d’un Merlin maniéré. On peut également citer Sacré Graal !, film des Monty Python sorti en 1975 dans lequel Merlin est tout bonnement absent… ou bien s’agit-il du sorcier pyromane Tim l’enchanteur ?
De 2008 à 2012, Merlin a fait l’objet d’une série fantastique et d’aventure sur BBC One. Reconnaissant que la légende arthurienne est un sujet rebattu, ce programme populaire présente Merlin dans un récit initiatique comme un personnage mal dégrossi mais sympathique qui fait ses classes de sorcier. On y trouve des éléments familiers comme Excalibur, Guenièvre et Lancelot, mais la série reste très éloignée de la légende arthurienne.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.