Port Royal, infâme repaire de pirates, a été engloutie par un tremblement de terre au 17e siècle

En 1692, lorsqu’elle fut engloutie, la ville jamaïcaine de Port Royal était la "ville la plus pervertie de la Terre". Des siècles plus tard, des expéditions archéologiques sous-marines font parler ses ruines.

De Editors of National Geographic
Publication 15 août 2024, 09:12 CEST
Pirate treasures

Un groupe de pirates se répartit un butin après s’être réfugiés dans un port sûr, c’est en tout cas ce qu’imagine, en couleurs vives, l’artiste et auteur du 19e siècle Howard Pyle.

PHOTOGRAPHIE DE Delaware Art Museum, Howard Pyle Collection, Bridgeman

Howard Pyle, auteur du 19e siècle, est responsable d’un grand nombre des croyances que nous entretenons au sujet des pirates du 17e siècle ; costumes flamboyants, trésors enfouis, etc. Son Livre des Pirates, publié en 1921, dix ans après sa mort, contient des illustrations débordant d’imagination placées aux côtés de récits trépidants sur la vie en haute mer. Les historiens en ont rejeté la plupart, n’y voyant que des exagérations romantiques, mais le portrait qu’il brosse de Port Royal demeure vraisemblable :

La ville de Port Royal […] en l’année 1665 […] accueillait toute manière de pirates et de boucaniers […] et les hommes vociféraient et juraient et s’adonnaient au jeu, et faisaient couler l’argent à flots, et puis peut-être, enfin, achevaient-ils leurs réjouissances en mourant de fièvre. […] Partout, l’on pouvait voir une multitude de femmes peinturlurées […] et des pirates à l’allure tapageuse tout en foulards rouges et tresses dorées et fanfreluches et atours ineptes, tous se livrant à la bagarre, au jeu et au marchandage pour accaparer ce trésor espagnol mal acquis.

Quand les Anglais confisquèrent la Jamaïque aux Espagnols en 1655, ils remarquèrent le potentiel stratégique du port de Kingston et entreprirent de fortifier ses défenses. Hérissé de fortifications, le port fut agrandi pour y accueillir des navires. Les marchands affluèrent vers ce havre protégé. Mais en plus du commerce licite, ce sont des entreprises moins salubres qui firent la prospérité du port : celles de la piraterie.

Anciennement fort Cromwell, le fort Charles fut construit dans les années 1650. À la fin du 17e siècle, il abrita jusqu’à 500 soldats et 100 canons.

PHOTOGRAPHIE DE Atlantide PhotoTravel, Getty

Au milieu du 17e siècle, l’Angleterre et l’Espagne se livrèrent une guerre principalement navale qui vit les couloirs maritimes des uns et des autres être fréquemment pris pour cibles. Le plan était simple : la couronne anglaise autorisait les pirates à attaquer les cargaisons espagnoles en mer et à terre. On appela alors boucaniers, ou corsaires, un terme plus distingué, les acteurs de cette piraterie tolérée par l’État.

L’emplacement de Port Royal, située au cœur des Caraïbes et encerclée par les possessions continentales espagnoles, plaçait la ville à portée des principales routes maritimes reliant le Nouveau Monde à l’Europe. Elle devint de fait la capitale mondiale des boucaniers.

Le pirate gallois Henry Morgan fit de la ville sa base et, de là, lança ses assauts contre des villes espagnoles, comme Puerto Principe (actuelle Camagüey, à Cuba), Porto Bello (Portobelo, au Panama), Maracaibo (aujourd’hui au Venezuela), et Panama City. Ses campagnes réussies contre les Espagnols lui valurent le titre de chevalier et l’octroi d’un pouvoir politique en Jamaïque, où il officia en tant que gouverneur et lieutenant-gouverneur. Henry Morgan mourut en homme riche en 1668 ; sa dépouille fut inhumée dans un cercueil en plomb dans le cimetière de Palisadoes, en Jamaïque.

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    Les galions espagnols regorgeant de richesses étaient la cible fréquente des assauts des pirates, comme le montre Howard Pyle, artiste et auteur du 19e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Nawrocki, ClassicStock, Getty

     

    PRISONNIERS DE PORT ROYAL

    Les attitudes de Port Royal à l’égard de la piraterie varièrent en même temps que les tendances politiques. Lorsque l’Angleterre et l’Espagne étaient en conflit, la piraterie était louée, mais elle fut également réprimée. Dans les années 1670, durant une période de répression (quelque peu hypocritement soutenue par Henry Morgan), les personnes formellement accusées de piraterie furent exécutées à Gallows Point, à Port Royal.

    Au début du 18e siècle, le nouveau gouverneur de la Jamaïque, Nicholas Lawes, fit intervenir la marine britannique pour traquer les pirates en activité à Port Royal. Le soutien local pour la piraterie commença à s’étioler après la capture et l’exécution de plusieurs pirates tristement célèbres et de leurs équipages, parmi lesquels figuraient Calico Jack Rackham, Anne Bonny, Mary Read ou encore Charles Vane.

    Calico Jack Rackham, Anne Bonny et Mary Read furent capturés en 1720. Rackham et les hommes de son équipage furent exécutés à Gallows Point, mais les deux femmes pirates furent épargnées, car elles étaient enceintes. Mary Read mourut en prison (en couches, selon certains), mais le destin d’Anne Bonny demeure inconnu.

    Après sa condamnation en 1721, Charles Vane fut pendu. Pour décourager les pirates, les cadavres de Rackham et de Vane furent exposés en public, pendus à des gibets près de l’entrée du port de Port Royal, pour avertir les passants et les habitants du sort que l’on réservait aux capitaines pirates et à leurs équipages quand ils se faisaient attraper.

     

    JUGEMENT DERNIER

    La richesse générée par le commerce légal s’accumula et des pirates tels que Henry Morgan firent de Port Royal l’un des ports les plus prospères des Caraïbes, avec des maisons en briques de deux à quatre étages, des conduites d’eau, et d’innombrables maisons closes, tripots et tavernes. L’Église catholique condamna Port Royal en la qualifiant de « ville la plus perverse de la chrétienté » en raison de ses pirates licites et de sa tolérance du vice humain.

    Le marin anglais Edward Barlow dessina des cartes détaillées dans son journal, rédigé au 17e siècle, et notamment une carte de Port Royal qui montre à quoi la ville ressemblait avant le séisme dévastateur de 1692.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA Picture, Getty Images

    Le matin du 7 juin 1692, le recteur de l’église de Port Royal était en retard pour un déjeuner, mais un ami le supplia de s’attarder encore un peu. Ce petit choix lui sauva la vie. Le sol commença à trembler et à gronder, mais l’ami en question dissipa l’inquiétude du recteur ; sur l’île, les tremblements de terre n’étaient généralement que de courte durée. Mais le séisme ne fit que croître en intensité, et les deux hommes entendirent bientôt le clocher s’écrouler pour ne former plus qu’un amas de gravats.

    Le recteur se précipita à l’extérieur, pour trouver refuge en terrain dégagé. Selon le récit qu’il livre des faits, la terre s’ouvrit en deux et engloutit des foules et des maisons entières d’un seul coup avant de se refermer. Le ciel s’empourpra, les montagnes au loin s’effondrèrent et des geysers d’eau jaillirent des fissures ouvertes dans le sol. En se retournant, il vit un grand mur d’eau de mer qui s’élevait au-dessus de la ville. Dans une lettre décrivant la catastrophe, le recteur, sous le choc, écrivit : « En l’espace de trois minutes […] Port Royal, plus belle ville de toutes les colonies anglaises, meilleur emporium et marché de cette partie du monde, exceptionnelle dans ses richesses, abondante en toutes bonnes choses, fut secouée et pulvérisée. »

    Un raz-de-marée suivit le séisme qui, selon certains scientifiques, aurait été de magnitude 7,5 sur l’échelle de Richter et aurait donc constitué un événement de force « majeure ». Une fois la catastrophe passée, la majorité de Port Royal se trouva sous le niveau de la mer, y compris le cimetière où était inhumé Henry Morgan. Jusqu’à 2 000 personnes trouvèrent la mort immédiatement, et des milliers de plus moururent peu après.

    Les journaux relatèrent des informations de première main, notamment le chaos et la terreur qui régnaient à Port Royal à la suite du tremblement de terre de 1692.

    PHOTOGRAPHIE DE Album, British Library

    En raison de sa réputation licencieuse, de nombreuses personnes durent voir dans la catastrophe qui s’abattit sur Port Royal une forme de Jugement dernier. C’est certainement ce qu’éprouva le recteur de l’église. Dans des lettres, il avoua qu’il ne souhaitait qu’une chose, fuir la scène du désastre, mais que sa bonne conscience l’avait incité à rester, à s’aventurer dans la ville jour après jour pour prier avec des rescapés dans une tente montée au milieu de leurs maisons dévastées que d’« obscène fripouilles » pillaient la nuit. « J’espère que par ce terrible jugement, Dieu les amènera à réformer leur vie, car il n’existait pas de peuple plus impie sur la face de la Terre », écrivit-il.

     

    SITE SUBMERGÉ

    Couverte de limon et de six à douze mètres d’eau trouble, la ville engloutie demeura intacte pendant près de 300 ans, jusqu’à ce que des archéologues marins ne commencent à faire remonter des artefacts à la surface. Ces découvertes permirent de dévoiler la vérité cachée derrière ces légendes infâmes.

    Port Royal est une ville côtière du sud-est de la Jamaïque sujette à de forts tremblements de terre. L’événement de 1692 fut si intense qu’il provoque un tsunami dévastateur.

    PHOTOGRAPHIE DE Luis Marden, National Geographic Image Collection

    L’une des premières explorations de Port Royal eut lieu en 1956, quand l’archéologue amateur Edwin Link et sa femme et partenaire de recherche, Marion, visitèrent l’endroit. Ils remontèrent un canon du fort mais conclurent qu’un équipement plus spécialisé serait nécessaire pour sonder le fond boueux et les artefacts qui y étaient enfouis. Ils revinrent en 1959 avec le Sea Diver, un vaisseau novateur dédié à l’exploration sous-marine qu’Edwin avait lui-même conçu.

    Lors d’une expédition de dix semaines financée par la National Geographic Society, la Smithsonian Institution et le gouvernement de Jamaïque, l’équipage des Link, accompagné de plongeurs d’élite de la marine américaine, recueillirent des centaines de reliques. En envoyant des jets d’eau à haute pression contre les briques, puis en aspirant les débris et le limon grâce à une pompe mammouth, ces véritables sauveteurs en mer mirent au jour des murs en dur. Une fois découverts, les objets cassables étaient remontés en surface à la main.

    Dans les eaux troubles du port, la visibilité était limitée pour les plongeurs, qui ne pouvaient pas voir plus loin que la longueur d’une main tenue devant le visage. Bien souvent, ils devaient se résoudre à ne travailler qu’au toucher, à tâtonner dans la vase.

    Un plongeur fit part de son expérience du travail à l’aveugle : « J’imagine que l’on développe un sixième sens quand on a passé un certain temps là-dessous. […] On devient si absorbé par ce qu’on pourrait trouver qu’on oublie tout le reste. On perd la notion du temps. On oublie même de se demander s’il y a des requins dans les parages. » Pourtant, les dangers étaient tout à fait tangibles. Oursins, raies, murènes et rascasses rôdaient, invisibles pour la plupart, dans le fond boueux. Il y avait en outre un danger constant d’effondrements, car une drague aspirait le limon à la base des vieux murs de briques.

    Ce que l’équipe a découvert dans la capitale des pirates engloutie était semblable à une Pompéi sous-marine. Marion Clayton Link décrivit ce qui l’avait à l’origine attirée sur le site avec son époux. « Contrairement aux villes terrestres, qui évoluent avec les années, celle-ci est demeurée telle qu’elle avait été plus de deux siècles et demi auparavant, immortalisée par les mers dans un séisme instantané. Tout ce que nous étions susceptibles de trouver dans les ruines allait être révélateur de l’époque. » Les chercheurs emploient le terme « sites catastrophes » pour désigner ces endroits où un désastre soudain a préservé des artefacts importants ainsi que le contexte qui les a produits.

    Photographié lors de la campagne de fouilles réalisée en 1959, Edwin Link utilise une aiguille hypodermique pour aspirer le contenu d’une bouteille oignon (qui a peut-être renfermé du vin), récupérée dans les ruines de Port Royal, en Jamaïque.

    PHOTOGRAPHIE DE Luis Marden, National Geographic Image Collection

    Qu’il s’agisse de couverts en étain ou de porcelaine chinoise, les signes de richesse personnelle étaient nombreux. Furent également découverts une multitude d’objets domestiques témoignant d’une vie de foyer ordinaire : des cuillères, des lanternes, mais aussi des objets élégants comme un pierrier en fer forgé. Un nombre proprement ahurissant de bouteilles et de pipes furent exhumés, ce qui donne l’impression que les habitants de Port Royal passaient bel et bien leur vie à boire et à fumer. Edwin Link inséra même une aiguille hypodermique dans le bouchon d’une bouteille et en préleva un échantillon de fluide jaune pour le goûter. « Horrible. Ça a un goût de vinaigre fortement salé, bafouilla-t-il. J’imagine que 1692 était un mauvais millésime. »

    La découverte la plus fascinante fut probablement une élégante montre en cuivre. Fabriquée à Amsterdam en 1686, elle s’est arrêtée à l’heure exacte estimée du séisme : 11h43.

    Composants d’une montre de poche en cuivre remarquablement bien préservés et tirés des profondeurs de Port Royal en 1959.

    PHOTOGRAPHIE DE Willis D. Vaughn, National Geographic Image Collection

    Ces premières explorations de Port Royal posèrent les bases d’un travail plus approfondi. Dès 1981, l’Université A&M du Texas, entreprit des fouilles d’une durée de dix ans en collaboration avec l’Institut d’archéologie nautique et avec le Fonds patrimonial jamaïcain. En raison de l’environnement sous-marin pauvre en oxygène, l’équipe a récupéré de nombreux artefacts naturels qui auraient autrement été détériorés. Ces découvertes peignent un tableau encore plus animé de la vie dans le plus célèbre port de pirates des Caraïbes du 17e siècle.

    Des passages de cet article ont initialement paru dans le livre Lost Cities, Ancient Tombs Copyright ©2021 National Geographic Partners. Ré-imprimé avex la permission de National Geographic Partners.

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