Ces corps se sont momifiés… par accident ?
Dépouilles lyophilisées, salées ou enterrées dans une tourbière : des milliers d’années avant que les Hommes ne momifient intentionnellement leurs morts, la nature s’en chargeait pour eux.
Des échantillons de cerveau sont prélevés sur Ötzi, une momie de l’âge du cuivre qui s’est retrouvée prisonnière des glaces peu après sa mort. Cette momification naturelle a permis de conserver le corps pendant près de 5 000 ans, jusqu’à sa découverte en 1991.
On ne s’attend pas vraiment à ce qu’un corps se momifie par accident.
Laissé dans la nature, un corps humain se décomposerait généralement au bout de quelques années jusqu’à ce qu’il n’en reste que les os. Les cultures qui fabriquent des momies, comme les Égyptiens de l’Antiquité, n’ont pu repousser l’inévitable que grâce à des pratiques funéraires complexes nécessitant toutes sortes d’outils, de produits chimiques et de procédures spécialisés.
Il existe pourtant des chemins vers l’éternité momifiée qui n’impliquent pas de vases canopes, de natron ou de crochets servant à l’extraction du cerveau. En réalité, certaines des plus anciennes momies égyptiennes n’étaient probablement pas le fruit d’une momification volontaire, explique Frank Rühli, directeur de l’Institut de médecine évolutive de l’université de Zurich et responsable du groupe de paléopathologie et d’étude des momies.
Enterrés dans des tombes peu profondes, les corps peuvent être naturellement préservés pendant des milliers d’années par le sable et l’air sec et chaud du Sahara. C’est d’ailleurs, selon Rühli, ce qui aurait pu inciter les anciens Égyptiens à commencer à momifier leurs honorables morts.
Les déserts chauds ne sont qu’un des nombreux environnements dans lesquels les corps se momifient naturellement. Les scientifiques savent désormais comment des environnements comme les tourbières ou les sommets enneigés peuvent empêcher la décomposition et, avec un peu de chance, momifier les corps.
LES DÉSERTS
Les Égyptiens ne sont pas le seul peuple du désert connu pour ses momies. Les Chinchorros du nord du Chili ont commencé à momifier intentionnellement leurs morts environ 2 000 ans avant les Égyptiens. Ce que faisait d’ailleurs pour eux le désert d’Atacama des milliers d’années auparavant.
« Ce qui est intéressant avec les momies chinchorro, c’est que certaines d’entre elles ont été préparées intentionnellement, tandis que d’autres ont été momifiées naturellement », explique l’anthropologue Bernardo Arriaza, de l’université de Tarapacá au Chili, qui a passé sa carrière à étudier les momies chinchorro.
La décomposition est un processus biologique qui, sans eau, ne peut opérer. C’est pourquoi les déserts conservent si bien les corps et que les pratiques de momification égyptiennes et chinchorro impliquaient des étapes d’assèchement du corps.
La plus ancienne momie chinchorro, Acha Man, a été préservée naturellement par le désert pendant plus de 9 000 ans. Des momies naturelles ont été découvertes dans les déserts du monde entier. Parmi les mieux conservées, citons les momies du Tarim du Xinjiang, en Chine, qui ont été enterrées dans des cercueils en forme de bateau il y a 4 000 ans dans le désert du Taklamakan.
LE SEL
Dans le cas de malheureux mineurs iraniens ensevelis lors de l’effondrement de la mine de sel de Chehrabad, le sel s’est avéré tout aussi efficace que le désert.
« Ils travaillaient dans la mine de sel lorsque celle-ci s’est effondrée », explique Rühli, qui a étudié ces momies. Le phénomène s’est produit à plusieurs reprises (au moins deux fois, selon Rühli) sur une période d’environ 1 000 ans, ensevelissant de jeunes hommes sous le sel qu’ils étaient venus extraire. Bien que le poids du sel ait écrasé les mineurs, la roche salée en a aspiré toute l’humidité, momifiant ainsi leurs restes aplatis.
Les sels présents dans les sols secs du désert d’Atacama ont également contribué à préserver des momies chinchorro, explique Arriaza. Les sols sont riches en composés nitrés, en azote, en potassium, en sodium et en calcium. « Il s’agit surtout de sels, précise-t-il, ce qui participe à la déshydratation du corps. »
LA GLACE
Retirer l’eau d’un cadavre n’est pas le seul moyen d’en arrêter la décomposition. Les basses températures ralentissent la plupart des processus biologiques et la congélation complète d’un corps peut l’empêcher de pourrir pendant des milliers d’années.
Le pathologiste Andreas Nerlich, de la Klinik Bogenhausen de Munich, a étudié Ötzi, une momie de glace vieille de 5 300 ans, retrouvée dans les Alpes de l’Ötztal, près de la frontière entre l’Autriche et l’Italie, où elle émergeait de la surface d’un glacier en train de fondre. « Elles restent préservées tant qu’il y a de la glace », explique-t-il à propos des momies comme Ötzi.
Bien que « très rares », ajoute Nerlich, les momies des glaces peuvent être remarquablement bien conservées par rapport aux momies déshydratées. En effet, la déshydratation atrophie et déforme les tissus, quand la congélation conserve généralement la forme des organes.
Le pergélisol, cette la terre qui reste gelée toute l’année, peut également provoquer des momifications. Une momie sibérienne, la Demoiselle de glace, vieille de 2 500 ans, a été littéralement congelée dans un bloc de glace après que sa chambre funéraire a été inondée et que l’eau a rapidement gelé. La chambre funéraire ayant été construite dans le pergélisol, la glace qui s’est formée à l’intérieur n’a jamais fondu.
LA LYOPHILISATION
Une combinaison de froid et de sécheresse peut provoquer une momification, même s’il ne fait pas assez froid pour que le corps reste gelé toute l’année. C’est ce qui est arrivé à des femmes et des enfants de la culture inuit de Thulé au Groenland. Ils ont été naturellement momifiés dans leurs tombes après être probablement morts de faim ou de maladie, aux 15e et 16e siècles.
C’est un peu comme une lyophilisation naturelle, explique le paléopathologiste Niels Lynnerup, de l’université de Copenhague, qui s’est penché sur ces momies.
« Il a beau faire très froid au Groenland, ce n’est pas comparable au Haut-Arctique et à son pergélisol », précise-t-il. Les corps étaient enterrés sous des monticules de pierres ou cairns, de sorte que « le vent soufflait toujours à travers ». L’effet combiné du vent, qui dessèche les corps, et du froid, qui ralentit les bactéries, les a momifiés.
De nombreuses momies incas découvertes sur les sommets de la cordillère des Andes ont également été préservées par lyophilisation. Momie exceptionnellement bien conservée, la jeune fille de Llullaillaco, était une adolescente inca qui a été sacrifiée au sommet d’une montagne pour y mourir de froid. Il s’agit d’un cas exceptionnel, car elle a été congelée à l’état solide.
Même les conditions qui règnent dans les cryptes, à l’air frais et sec, peuvent parfois préserver les restes d’une manière similaire, pourvu que les corps soient bien ventilés ou conservés de façon hermétique après leur assèchement, explique Nerlich. Plusieurs momies naturelles retrouvées dans des cryptes n'étaient pas que des accidents. Une momie de Haute-Autriche, connue sous le nom de Luftg'selchter Pfarrer, a été intentionnellement bourrée de matériaux absorbants et traitée avec des sels pour retarder temporairement sa décomposition avant qu’elle ne se momifie naturellement dans sa crypte.
LES TOURBIÈRES
La momification naturelle nécessite presque toujours que l’eau disparaisse du cadavre d’une manière ou d’une autre. Elle est alors soit complètement éliminée, soit transformée en glace. Il peut donc paraître surprenant que des tourbières humides et marécageuses puissent conserver des restes humains pendant des millénaires.
La plus ancienne momie des tourbières est celle de l’homme de Cashel, probablement tué lors d’un sacrifice vers 2 000 ans avant J.-C. Son corps a été naturellement momifié en raison des conditions chimiques inhabituelles des tourbières.
« Plusieurs facteurs sont à l’origine de la momification des restes humains dans les tourbières », explique l’archéologue Isabella Mulhall, du musée national d’Irlande. « Citons le manque d’oxygène, la fraîcheur et l’obscurité de l’environnement... Mais aussi le niveau d’acidité de la tourbière. »
On trouve souvent dans les tourbières un type de mousse qui participe à la momification des corps, ajoute Mulhall. La sphaigne libère une molécule acide et sucrée qui absorbe les nutriments dont se nourrissent les microbes responsables de la décomposition. Cela contribue à la momification des cadavres, bien que les sphagnanes aspirent également le calcium des os, ce qui les affaiblit.
Les fluides acides des tourbières modifient chimiquement le corps, un peu comme le tannage du cuir ou le marinage. C’est pourquoi la plupart des corps des tourbières, quelle qu’ait été leur apparence initiale, ont une peau sombre et coriace et des cheveux rouge vif.
De nombreuses momies de tourbières semblent avoir connu une fin plutôt violente ; comme d’ailleurs la plupart des autres momies naturelles. Mais le hasard ayant préservé leurs corps, les victimes de ces tragédies passées peuvent aujourd’hui renseigner les scientifiques sur leurs vies et leurs sociétés. Les mêmes processus responsables de la momification de la peau et des organes humains peuvent aussi parfois préserver des aliments non digérés dans l’estomac, du sang, des traces de microbes pathogènes et même des indices sur les écosystèmes et les climats dans lesquels vivaient les peuples anciens.
« D’une certaine manière », explique Arriaza, « tous ces vestiges constituent des capsules temporelles. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.