Hausse des cas de démence aux États-Unis
Une étude récente a démontré que les risques pour les Américains de souffrir de démence au cours de leur vie ont doublé par rapport aux dernières estimations. Il y a cependant de bonnes nouvelles.

La maladie d’Alzheimer est un effet commun de la démence. Cette image de scanner montre une coupe d’un cerveau atteint par la maladie (à gauche) comparé à un cerveau sain (à droite). Le cerveau du patient atteint d’Alzheimer est considérablement réduit.
Une étude parue dans la revue scientifique Nature Medicine estime que d’ici 2060 le nombre de cas de démence aux États-Unis aura doublé et atteindra un million. Ce nombre ne sera pas le seul à doubler : par rapport aux dernières estimations, les chances de développer une démence au cours de sa vie augmenteront également.
Des chiffres comme ceux-là peuvent être effrayants. Et, effectivement, les dernières projections des cas de démence sont alarmantes. D’une part, elles incitent les États-Unis à investir urgemment dans les unités de soin spécialisées afin de traiter les futurs cas. Mais d’autre part et assez paradoxalement, ce chiffre raconte également l’histoire d’un succès.
De nos jours, grâce à des décennies de progrès dans les domaines sociaux et médicaux, de plus en plus d’Américains vivent suffisamment longtemps pour développer une démence. Par le passé, on mourrait plus jeune, des suites de maladies cardiovasculaires ou de cancers. Ces mêmes avancées médicales ont également retardé le développement de démence précoce pour de nombreux patients.
La nouvelle qui donne le plus d'espoir, c’est qu’il existe de nombreuses habitudes à adopter pour éviter de souffrir de démence, explique Michael Fang, épidémiologiste à l’École Bloomberg de santé publique de l’Université Johns Hopkins, un des auteurs principaux de la récente étude. L’étude avertit sur les conséquences de la démence pour les familles, le personnel de santé et l’économie si rien n’est fait pour inverser la tendance. « Mais si nous faisons vraiment quelque chose, il y a une opportunité de faire fléchir cette courbe », souligne Michael Fang.
LA RAISON SIMPLE DE LA HAUSSE DES CAS DE DÉMENCE
Cette étude n’est pas la seule à prévoir que le nombre d’Américains atteints de démence augmentera. Cependant, les dernières estimations plaçaient le risque d'en souffrir au cours de sa vie entre 14 et 23 %, tandis que la dernière estime que plus de 40 % d’Américains pourraient développer une démence.

Une auxiliaire de santé aide une femme âgée atteinte de démence à se préparer pour se coucher.
Une partie de cette augmentation peut être expliquée par les participants à l’étude, dont environ un quart sont des personnes noires. La population des États-Unis compte environ 14 % de Noirs.
« Beaucoup d’études et de recherches montrent que les personnes racisées sont plus sujettes à la démence », explique Kristine Yaffe, une chercheuse spécialisée dans la démence de l’université de Californie à San Francisco.
Aux États-Unis, ce risque plus élevé vient d’un plus grand manque d’accès aux ressources qui permettent d’éviter la démence, comme une bonne éducation, une alimentation saine et un espace dans lequel pratiquer une activité physique. Il s’explique également car une plus grande partie des Noirs américains fume. Pour ces raisons, les projections de démence se basant sur des données provenant d’un échantillon de personnes de diverses ethnicités seront plus élevées que si elles étaient fondées sur un groupe de personnes blanches, comme c’était le cas des précédentes études.
Mais même en sachant cela, l’échantillon de cette étude n’explique pas à lui seul les projections plus négatives.
Ce sont deux autres contributeurs importants qui endossent ce rôle. Plus d’Américains sont susceptibles d’atteindre les quatre-vingt ans, voire les quatre-vingt-dix ans et atteignent le point de leur vie où ils sont plus sujets aux changements cognitifs.
La grande majorité des cas de démence survient chez des adultes âgés. Selon Josef Coresh, un des auteurs principaux de l’étude ainsi que le fondateur et président de l’Optimal Aging Institute (l’institut de la vieillesse optimale) de l’école de médecine Grossman de l’Université de New York, 4 % des Américains âgés de soixante-quinze ans sont atteints d’une forme de démence. Et, dans les années qui suivent, ce risque augmente. Ce sont presque 20 % des personnes âgées de quatre-vingt-cinq ans qui sont concernées et le risque augmente chaque année.
Les Américains sont de plus en plus susceptibles de vivre jusqu’à ces âges. Les personnes nées dans les années 1950 ont une espérance de vie moyenne de soixante-neuf ans, tandis que celles nées dans les années 2010 peuvent s’attendre à vivre une décennie de plus. En moyenne, les femmes vivent plus longtemps que les hommes, c’est l’une des raisons pour lesquelles elles sont plus sujettes à la démence.

Un homme peint tous les jours pour garder son corps et son esprit actifs, repoussant ainsi la démence.
RÉDUIRE LES RISQUES DE DÉMENCE, À TOUT ÂGE
Les cas de démence ne sont pas en hausse parce qu’il devient plus difficile de les prévenir, c’est en réalité l’inverse.
Les avancées qui permettent à plus d’Américains de vivre plus longtemps contribuent également à repousser la démence chez beaucoup d’autres. Dans une pièce où se trouvent des personnes âgées de soixante-dix à quatre-vingt-dix ans, choisies au hasard, elles seront moins nombreuses à être atteintes de démence qu'un groupe similaire il y a cinquante ans.
Kristine Yaffe explique que la baisse liée à l’âge est largement due aux avancées effectuées dans de nombreux domaines, notamment en santé cardiovasculaire et dans l’éducation. L’éducation des enfants et la stimulation cognitive au cours de la vie protègent des symptômes de la démence. « Ces avancées ont apporté un réel changement », dit-elle.
Ces avancées expliquent probablement pourquoi les personnes qui développent une démence aujourd’hui, le font plus tard que dans les années 1970. Cela s’ajoute de plus à la baisse de consommation d’alcool et de cigarettes, l’amélioration de la qualité de l’air, les meilleurs traitements de la dépression et d’autres modifications apportées au mode de vie.
Certains facteurs de risque ne peuvent pas être changés. Notamment les personnes porteuses du gène apoE, qui sont plus sujettes à la maladie d’Alzheimer que d’autres, la cause la plus commune de démence.
Toutefois, bon nombre de facteurs peuvent être influencés.
L’an dernier, un groupe d’experts en démence a publié un rapport recensant quatorze actions que l’on peut entreprendre pour diminuer le risque de développer une démence. Parmi elles, des choix à faire à la place des enfants, comme porter un casque lors d’activités sportives pour réduire le risque de dommages au cerveau. Mais aussi des options pour les adultes, comme traiter les problèmes de vue et d’audition ou chercher des environnements sociaux et quotidiens afin de ne pas être isolé. Plusieurs études ont démontré que les effets de ces actions se cumulent.
L’OMS recommande d’entreprendre certaines actions au cours de la vie afin de diminuer les risques de démence :
- Assurer un accès à l’éducation pour tous et encourager un stimulus cognitif tout au long de la vie
- Effectuer des bilans de santé régulièrement chez son médecin
- Assurer un suivi dans les cas de dépression
- Encourager le port du casque lors des sports de contact et de cyclisme
- Encourager l’exercice physique
- Réduire la consommation de tabac
- Prévenir, réduire et traiter l’hypertension artérielle
- Traiter les cas de cholestérol élevé, surtout à partir de 50 ans
- Surveiller son poids et traiter l’obésité le plus tôt possible, en particulier pour éviter le diabète
- Réduire la consommation d’alcool
- Faire des environnements solidaires et bienveillants une priorité, afin de réduire l’isolement des personnes en facilitant la participation à des activités sociales et la vie en communauté
- Réduire l’exposition à la pollution
Patricia Crowley, qui a travaillé sur l’ensemble des données de l’étude parue dans Nature Medicine, a appliqué certaines de ses recommandations au moment où elle a pris sa retraite, il y a de cela dix ans. Son mari avait été diagnostiqué des années plus tôt d’un trouble cognitif léger, l'un des précurseurs de la démence. Tous deux ont rejoint un centre local pour seniors après que Patricia a pris sa retraite. Les entraînements de musculation, le taïchi, les cours d'informatique et les clubs de livres ont rapidement rempli leurs agendas. L’amitié et l’exercice physique étaient essentiels à leur bien-être continu.

L’OMS recommande plusieurs actions spécifiques au cours de la vie, afin de réduire les risques de démence. L’exercice en fait partie.
Les changements de mode de vie peuvent changer la donne mais certaines des actions les plus importantes que recommandent les experts sont d’ordre pharmaceutique. Les médicaments traitant l’hypertension artérielle et le cholestérol peuvent jouer un rôle important dans la diminution des risques. Certains résultats précoces suggèrent que les inhibiteurs GLP-1 comme le sémaglutide, contenu dans l’Ozempic, et le tirzépatide, contenu dans le Mounjaro, peuvent avoir un effet protecteur, probablement dû à leurs actions sur les inflammations cérébrales.
Il existe également un intérêt fort autour du Leqembi, médicament récemment mis sur le marché européen et approuvé par l’EMA. Ce médicament réduit la formation de plaques amyloïdes dans le cerveau, le principal responsable de la maladie d’Alzheimer, et peut prévenir la maladie chez les personnes n’ayant pas encore développé de symptômes de démence, explique Kristine Yaffe. Bien que les scientifiques tentent encore de répondre à cette question, Kristine Yaffe ne s’attend pas à avoir de résultats avant cinq à dix ans.
NE CRAIGNONS PAS DE PARLER DE LA DÉMENCE
Malheureusement, la honte qui entoure encore ce diagnostic empêche beaucoup de personnes de parler à leur médecin lorsqu’ils en remarquent les premiers signes.
Pour Regina Shih, épidémiologiste à l’université Emory, « la démence n’est pas une sentence de mort. Il y a beaucoup de choses que l’on peut faire, autant pour prévenir la démence que lorsque le diagnostic est posé. » Toutefois, les patients ne sont pas toujours susceptibles de recevoir des conseils sur les actions à entreprendre si leurs praticiens ne sont pas au courant des changements cognitifs.
Patricia Crowley, grâce à ses travaux, était sensibilisée à la maladie et cette conscience l’a aidée à faire les bons choix pour son mari et pour elle-même. Ils ont de la chance de ne pas avoir besoin de soins avancés pour le moment. Soins qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir après la baisse d’auxiliaire de soins pour les personnes âgées.
Ce qui était peut-être tout aussi important que les connaissances de Patricia Crowley, c’était sa capacité à affronter la réalité et à avoir fait les changements nécessaires pour s’y ajuster. C’est une compétence qu’elle a acquise au moment où elle a été diagnostiquée d’une maladie chronique oculaire quand elle avait une vingtaine d'années.
« Très tôt, j’ai compris que l’on pouvait détruire sa vie si l’on n’acceptait pas les choses comme elles l'étaient », confie-t-elle. « L’acceptation, voilà ce qui fait la différence. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
