L'Algérie, une destination touristique encore sous-exploitée
Avec ses villes fortifiées, ses anciennes cités romaines et son accès au désert du Sahara, l'Algérie regorge de merveilles qui ne demandent qu'à être découvertes.
La ville de Ghardaïa, en Algérie, construite entre le 11e et le 14e siècle, compte parmi les multiples attractions historiques et culturelles de ce pays d'Afrique du Nord encore peu visité.
Depuis le toit ouvert de la tour d’observation, au-dessus du labyrinthe de ruelles étroites et de toits serrés, la ville de Ghardaïa apparaît telle une mosaïque de cubes couleur pastel.
Les haut-parleurs qui s’élèvent des minarets en terre cuite installés au sommet de chaque colline sont les seuls signes apparents de modernité dans cette ville ancienne.
En dépit de sa proximité avec l’Europe et de l’importante surface qu’elle occupe sur la côte nord de l’Afrique, l’Algérie et nombre des spectaculaires sites qui composent son patrimoine ne comptent que rarement parmi les destinations des voyageurs internationaux.
« L’Algérie est l’un des pays où il est le plus difficile d’entrer et l’un des moins visités au monde », explique Andrew Farrand, chercheur principal pour l’Afrique du Nord auprès de l’Atlantic Council, un groupe de réflexion spécialisé dans les affaires étrangères. « Sur les près de deux millions de touristes officiels chaque année, la plupart sont des membres de la diaspora algérienne qui rentrent chez eux pour rendre visite à leur famille. Seule une poignée d’entre eux sont des visiteurs étrangers. »
Des murs épais en plâtre et des formes ondulantes caractérisent cette mosquée à Ghardaïa, en Algérie.
Des allées en pierre serpentent entre les maisons de Ghardaïa, la maison ancestrale des Mozabites, la quatrième plus grande population berbère d'Algérie.
Pour celles et ceux qui sont prêts à passer tous les défis bureaucratiques, l’Algérie est sans doute l’une des destinations les plus enrichissantes à être accessibles en seulement quelques heures de vol depuis la France. Un autre point essentiel : elle est aujourd’hui considérée comme une destination sûre et relativement stable. La plupart des gouvernements étrangers déconseillent uniquement de se rendre près de ses frontières avec la Libye et le Niger.
UNE ANCIENNE COLONIE FRANÇAISE
L’anonymat de l’Algérie remonte à une période relativement récente de son histoire. Entre 1830 et 1962, le pays représentait le bien le plus précieux de l’Empire français. Après une guerre sanglante entre les insurgés algériens et les colons français qui a duré huit ans et fait entre 400 000 et 1 million de morts, l’indépendance a enfin été obtenue.
« Les efforts barbares de la France visant à détruire la culture algérienne ont engendré un profond sentiment antioccidental », explique Adel Hamaizia, chercheur invité à l’université de Harvard. « Au lendemain de ces événements, le pays devenu indépendant était très désireux de reconstruire et de protéger son identité religieuse et culturelle. »
Cette photographie de 1925 montre la mosquée principale de Ghardaïa, en Algérie.
Dans les années 1990, alors que le tourisme vers les pays voisins, le Maroc et la Tunisie, connaissait une forte expansion, l’Algérie était embourbée dans ce que ses habitants appellent la « décennie noire », lorsqu’une insurrection islamiste a déclenché une guerre civile sanglante et prolongée. Pas plus tard qu’en avril 2019, des manifestations antigouvernementales ont renversé le gouvernement du président de longue date, Abdelaziz Bouteflika.
UN TOURISME SOUS-DÉVELOPPÉ
L’une des conséquences de ce bouleversement intérieur est une attitude dominante envers les visiteurs étrangers qui est, sinon hostile, au moins indifférente. La procédure de demande de visa est complexe et la promotion du tourisme est inexistante. Lorsque je m’y suis rendu au printemps, le seul guide papier sur lequel j’ai pu mettre la main était un guide de poche Berlitz d’occasion qui avait été publié en 1990.
Selon de nombreux experts, le manque d’intérêt du gouvernement pour le tourisme est dû à la domination économique du pays dans les hydrocarbures. Le secteur pétrolier et gazier de l’Algérie représente 20 % de son PIB. Le tourisme, quant à lui, représente à peine 0,1 %.
« La malédiction du pétrole touche tous les secteurs », selon Farrand. « L’industrie donne à l’État algérien l’argent dont il a besoin pour éviter le dur travail que représente le développement de secteurs plus complexes tels que le tourisme. » Selon des rapports récents, en raison de la flambée des prix du pétrole et du gaz engendrée par la guerre en Ukraine, l’Algérie a dépassé de 70 % ses objectifs d’exportation pour le premier semestre 2022.
LES NOMBREUSES MERVEILLES D’ALGÉRIE
Les avantages de cette destination sont néanmoins nombreux. L’Algérie est, à plusieurs égards, telle un géant de merveilles qui se cache à la vue de tous. La bande de terre fertile qui longe sa côte méditerranéenne abrite des villes historiques comme Constantine, Oran et la capitale Alger. Les anciennes villes romaines comme Djémila et Timgad, toutes deux classées au Patrimoine mondial de l’UNESCO, comptent parmi les sites archéologiques les mieux préservés d’Afrique du Nord. Au sud du pays, dans le Sahara, les mers de dunes des Grands Ergs s’écrasent contre les massifs de grès du Hoggar et du Tassili n’Ajjer.
« Nous avons connu un intérêt record cet automne, mais nous pouvons encore passer plusieurs jours sans voir un autre touriste en Algérie », affirme Omar Zahafi, dont la société de tourisme, Fancyellow, s’adresse presque exclusivement aux visiteurs étrangers. « Lorsque nous visitons les ruines romaines et que les clients demandent pourquoi personne d’autre n’est là, j’aime plaisanter en disant que j’ai réservé le site spécialement pour eux ! ».
Les sommets des montagnes du Hoggar s'élèvent au-dessus du désert du Sahara, près de la ville de Tamanrasset, en Algérie.
Un garçon fait du vélo dans les rues de Ksar Tafilelt, l'une des villes de la vallée du M'zab, en Algérie, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Peu de lieux incarnent la tension entre l’isolement de l’Algérie et son potentiel touristique comme Ghardaïa, la terre ancestrale des Mozabites, la quatrième plus grande population berbère du pays. Dans cette ville-oasis tentaculaire, située à 611 kilomètres au sud d’Alger sur la route transsaharienne, la vie algérienne est des plus traditionnelles.
L’après-midi commence à El Atteuf, l’un des cinq ksours, ou citadelles installées au sommet des collines, qui sont collectivement connus sous le nom de « Pentapole ». Autrefois des entités distinctes, les cinq villes fortifiées ont depuis longtemps fusionné en une conurbation qui serpente le long de la vallée desséchée du M’Zab. Ghardaïa, qui est le nom de la plus grande citadelle, et également utilisé officieusement pour qualifier l’ensemble de la région, que Simone de Beauvoir a un jour comparé à « un tableau cubiste, magnifiquement construit ».
Comme la plupart des destinations en Algérie, il est conseillé d’explorer Ghardaïa avec un guide. Dans les ksours eux-mêmes, la présence d’un guide est obligatoire. Les règles établies par les conseils religieux, qui défendent une forme stricte d’ibadisme, n’autorisent l’entrée aux étrangers qu’à certaines heures de la journée, et seulement s’ils sont accompagnés de quelqu’un de la région. Certaines femmes mariées portent le haïk, un vêtement blanc qui entoure le corps et la tête, ne laissant apparaître qu’un seul œil. Les transports motorisés sont par ailleurs interdits ; le ramassage des ordures se fait encore à dos d’âne.
La Maison Traditionnelle Akham est l'un des rares hôtels situés dans des habitations traditionnelles en plâtre à Ghardaïa.
Mon guide, Hassissane Hadjsmael, un boucher à l’air malicieux, nous conduit à travers les ruelles tranquilles. Au milieu de la journée, lorsque la plupart des habitants de la vallée se reposent, les ruelles ne sont peuplées que de bandes d’enfants timides.
La cohérence architecturale de la citadelle est le résultat de normes de conception et de décoration séculaires. De près, on peut voir que les murs sont enduits d’argile puis parsemés de feuilles de palmier afin de détourner la chaleur du soleil.
Hadjsmael nous fait passer par une porte basse pour entrer dans un musée non officiel. À l’intérieur, nous découvrons une cour à piliers avec un toit ouvert. Les coins de chaque côté sont ornés de tapis. La plupart des maisons des villes anciennes arborent une identité visuelle similaire, même si elles se sont légèrement adaptées aux évolutions du 21e siècle. « Mon appartement est un peu comme ça », raconte Hadjsmael. « Mais j’ai une grande télévision plasma. »
Le changement arrive lentement à Ghardaïa, mais il arrive. En périphérie se trouvent des bosquets de palmiers dattiers dont les fruits constituaient autrefois un pilier de l’économie locale. Aujourd’hui, ses anciennes maisons d’été sont devenues des maisons d’hôtes.
Dans l’une d’elles, je rencontre des voyageurs venus de l’Ohio, assis dans une tente berbère dressée dans une cour ombragée. Un musicien, qui porte un turban touareg vert foncé, joue de l’oud sous un olivier.
« On se rend compte que beaucoup de gens en Algérie souhaitent faire découvrir leur pays au monde », selon Katelyn Jarvis, qui est conseillère en investissement financier à Cincinnati. « Presque toutes les interactions que nous avons eues avec des locaux ont fini en invitation à visiter leurs villes ou à partager un repas chez eux. »
Ici, le tourisme n’en est qu’à ses débuts, mais l’hospitalité est instinctive.
« J’ai récemment obtenu mon permis pour commencer à accueillir des étrangers », me dit le propriétaire de la maison d’hôtes, Rostom Labchek. « J’espère qu'ils seront plus nombreux à venir. »
CONSEILS POUR LES VISITEURS
De nombreuses agences de voyages en Europe et en Afrique peuvent organiser des visites guidées des principaux sites d’Algérie, tels que des villages anciens du Sahara ainsi que des ruines romaines. Algeria Travel and Tours et Wild Frontiers sont des exemples de sociétés spécialisées dans les itinéraires d’Afrique du Nord.
Le site du gouvernement français précise les étapes à suivre afin d'accéder au visa, nécessaire pour pouvoir entrer dans le pays.
Henry Wismayer est un journaliste indépendant établi à Londres. Suivez-le sur Twitter.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.