Ces six édifices ont été bâtis par des femmes pour immortaliser leur amour
Ces monuments situés aux quatre coins du monde sont des merveilles d'art et d'architecture, et témoignent de la volonté des femmes qui les ont fait construire de graver leur amour dans l'Histoire.
La reine Artémise a commandé le mausolée d'Halicarnasse, l'une des sept merveilles du monde antique, en 353 avant notre ère, pour son partenaire, Mausole, un gouverneur perse.
Du Taj Mahal en Inde au château de Torrechiara en Italie, nombreux sont les édifices construits par des hommes pour célébrer leur bien-aimée féminine ; mais l’inverse n’est pas vrai, peu de femmes ayant commandé de tels monuments à travers l’Histoire. Ces derniers sont donc rares, mais n’existent que grâce à la résilience de leurs constructrices face aux traditions et normes sociétales.
Pour honorer leur moitié avec des temples, des tombes, des sculptures et autres magnifiques édifices, ces femmes ont ainsi dû transgresser les coutumes royales, protester contre les lois relatives à l’égalité, ou encore modifier les tendances architecturales. Voici six de ces rares édifices situés aux quatre coins du monde.
LE MAUSOLÉE ROYAL DE FROGMORE, EN ANGLETERRE
Lorsque le prince Albert, le mari de la reine Victoria, a soudainement succombé à une maladie en 1861 à l’âge de 42 ans, la reine était inconsolable.
La reine Victoria a commandé le mausolée royal de Frogmore, près du château de Windsor, pour commémorer son défunt mari, le prince Albert.
« Elle a passé le reste de sa vie à honorer sa mémoire : elle s’est drapée de noir, elle et sa cour, s’est retirée de tout engagement public et social, et s’est entourée d’images de son défunt mari », nous raconte l’historienne britannique Tracy Borman, autrice de Crown & Sceptre: A New History of the British Monarchy. « La reine éplorée cherchait également à se consoler en commandant des statues et des monuments commémoratifs afin de lui rendre hommage. »
Peu après la mort d’Albert, la reine a commencé à travailler sur un mausolée à Frogmore, un domaine royal situé près du château de Windsor, qui n’a été achevé qu’en 1871. Ce mausolée est devenu l’éternelle demeure d’Albert, qui a été rejoint par sa bien-aimée en 1901, rompant ainsi avec la tradition royale qui voulait que les monarques soient enterrés à l’abbaye de Westminster ou à la chapelle Saint-Georges de Windsor.
Le mausolée n’est pas accessible aux touristes. Mais vous pouvez admirer ce majestueux édifice depuis les jardins de Frogmore House, qui rouvrira ses portes au public dans le courant de l’année. L’intérieur arbore un style coloré inspiré par la passion d’Albert pour l’art de la Renaissance italienne et, comme pièce maîtresse, un splendide sarcophage surmonté de figures en marbre à l’effigie de Victoria et de son grand amour.
LE TEMPLE KODAI-JI, AU JAPON
Dans les contreforts boisés des montagnes Higashiyama, à Kyoto, un beau temple commémore le fils d’un paysan qui est devenu samouraï et a contribué à unifier le Japon après des siècles de guerres féodales. Il s’appelait Toyotomi Hideyoshi.
Le Kōdai-ji, qui est l’un des temples les plus visités de Kyoto, a été commandé par l’épouse de Hideyoshi, Nene (connue sous le titre de Kita-no-Mandokoro), après sa mort en 1598. Après s’être fait nonne bouddhiste, Nene a vécu pendant dix-neuf ans au Kōdai-ji, qui abrite désormais sa tombe. Bien que Hideyoshi ait été enterré dans un autre site à Kyoto, son esprit réside au Kōdai-ji avec sa femme, selon David L. Howell, professeur d’histoire japonaise à l’Université Harvard.
La veuve d'un célèbre samouraï du 14e siècle a fait ériger le temple Kōdai-ji en son honneur à Kyoto, au Japon.
« Bien qu’il soit difficile de déterminer ce que renfermait le cœur des chefs de guerre et de leurs épouses, Hideyoshi et Nene semblent avoir été dévoués l’un à l’autre. Ils sont restés ensemble pendant environ trente-sept ans, jusqu’à la mort de Hideyoshi. Comme d’autres hommes puissants de l’époque, il a eu plusieurs concubines, car il voulait désespérément produire un héritier mâle, mais il n’a jamais répudié Nene. »
LE « MEMORIAL TO A MARRIAGE », À NEW YORK
Dans le cimetière Woodlawn de New York, l’amour de deux femmes a été rendu éternel. Intitulée Memorial to a Marriage, cette sculpture en bronze a été créée par l’artiste américaine Patricia Cronin en 2002, alors que le mariage homosexuel était encore illégal aux États-Unis.
Au cimetière Woodlawn de New York, « Memorial to a Marriage » est une sculpture en bronze représentant la sculptrice Patricia Cronin et sa femme enlacées dans un lit ; un jour, le couple sera enterré sous cette sculpture.
L’œuvre représente Patricia et Deborah Kass, sa partenaire depuis devenue sa femme, enlacées sous un drap, et se trouve au sommet de leur future tombe. Cronin la décrit comme le « premier monument au monde pour le mariage pour tous ».
« La plupart des personnes LGBTQ+, leurs familles et leurs alliés vivent dans des régions où l’homophobie fait encore rage, aussi bien aux États-Unis que dans de nombreux pays du monde », déplore l’artiste. « Si vous aimez profondément quelqu’un, alors cette œuvre est pour vous, quelle que soit votre identité sexuelle. »
Le cimetière de Woodlawn est ouvert au public et organise fréquemment des visites guidées. Une réplique en bronze de l’œuvre de Patricia Cronin est exposée à la Kelvingrove Art Gallery and Museum de Glasgow, en Écosse.
LA TOMBE DE HUMÂYÛN, EN INDE
À l’est de Delhi, en Inde, réside un édifice qui a servi d’inspiration au célèbre Taj Mahal : la tombe de Humâyûn, un trésor de marbre et de grès qui commémore l’histoire d’un empereur et de son grand amour pour sa femme.
Après la mort de Humâyûn, souverain de l’Empire moghol d’Inde, en 1556 à l’âge de 47 ans, sa première épouse, Bega Begum, a commandé ce tombeau. Il s’agit du premier grand bâtiment construit dans le style architectural moghol, qui est un mélange d’éléments des styles indiens, persans et centre-asiatiques, explique Najaf Haider, professeur d’histoire indienne à l’Université Jawaharlal-Nehru de Delhi.
Selon Haider, Begum, qui s’est fait connaître sous le nom de Haji Begum après son pèlerinage à La Mecque en Arabie saoudite, était « très attachée à son mari et à sa mémoire. Haji Begum s’est occupée de la tombe jusqu’à sa propre mort. »
La tombe de Humayun, vue depuis le jardin Char Bagh à Delhi, en Inde, a été construite par la veuve du souverain moghol du 16e siècle. Le bâtiment a servi d'inspiration architecturale lors de la création du Taj Mahal.
Le cénotaphe en marbre blanc de Humayun se trouve au centre de la chambre principale du tombeau.
LE MAUSOLÉE D’HALICARNASSE, EN TURQUIE
Dans la ville côtière de Bodrum en Turquie, les touristes peuvent se promener sur les vestiges d’un chef-d'œuvre vieux de 2 300 ans. Le mausolée d’Halicarnasse était l’une des sept merveilles du monde antique et rivalisait par sa taille et sa splendeur avec les pyramides d’Égypte, selon Daniel Sherer, professeur invité en histoire et théorie de l’architecture à l’Université de Princeton.
Pline l’Ancien, écrivain romain du 1er siècle, a indiqué dans ses écrits que ce mausolée avait été commandé par la reine Artémise en 353 avant notre ère, afin de devenir l’éternelle demeure de son conjoint, Mausole, souverain de Carie, un territoire de l’actuelle Turquie. Dans l’art de la Renaissance et du baroque, Artémise est souvent représentée en train de superviser la construction de la tombe, décrit Sherer.
Selon le récit de Valerius Maximus, historien romain du 1er siècle, la reine était si dévouée à son défunt mari qu’elle a mélangé ses cendres dans un liquide qu’elle a ensuite ingéré, « faisant ainsi de son propre corps un tombeau vivant ».
LA BÂOLI DE RANI-KI-VAV, EN INDE
À la périphérie de Patan, une petite ville de l’ouest de l’Inde, la terre s’ouvre pour dévoiler une merveille complexe. Le puits à degrés, ou bâoli, de Rani-ki-Vav, arbore une série d’escaliers qui traversent quatre pavillons et 1 500 sculptures, et descendent jusqu’à plus de 20 mètres de profondeur.
L’Inde comptait autrefois des milliers de ces puits à degrés, utilisés pour recueillir l’eau pour boire, se laver et se baigner, avant que les forces coloniales britanniques ne viennent détruire la plupart de ces sites. Également connu sous le nom de « puits à degrés de la Reine », Rani-ki-Vav a été commandé au 11e siècle par la reine Udaymati, et largement restauré dans les années 1980. La reine a dédié ce joyau à son défunt mari, le roi Bhimdev Ier, qui régnait sur une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’État indien du Gujarat. Le site a été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2014.
Ronan O’Connell est un journaliste et photographe australien, qui travaille principalement en Irlande, en Thaïlande et en Australie-Occidentale.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.