Grippe aviaire : des cas ont été détectés aux deux pôles

Une souche particulièrement virulente du virus H5N1 a décimé des colonies entières d’oiseaux marins et d’éléphants de mer de l’Alaska à l’Antarctique. Selon les spécialistes, le virus reste pour l’heure sans danger pour l’Homme.

De Jason Bittel
Publication 8 mars 2024, 17:26 CET
Des milliers de fous de Bassan (ici photographiés dans une colonie en Irlande) vivant dans 40 ...

Des milliers de fous de Bassan (ici photographiés dans une colonie en Irlande) vivant dans 40 des 41 colonies étudiées en Europe ont succombé à une souche particulièrement virulente du virus H5NI.

PHOTOGRAPHIE DE Jasper Doest, Nat Geo Image Collection

Un ours blanc a récemment été testé positif en Alaska à une souche hautement pathogène de l’influenza aviaire, une première pour l’espèce. Plusieurs oiseaux marins prédateurs ont succombé la semaine dernière au virus H5N1, non loin de la station de recherche de l’Argentine sur l’Antarctique. C'est aussi la première fois que des cas de grippe aviaire sont recensés sur le continent de glace.

Aucune région du globe n’est épargnée par la reprise de l’épidémie, avec des dizaines d’espèces d’oiseaux et de mammifères infectées de l’Afrique à l’Asie, en passant par l’Europe. La dernière souche du virus serait même « extrêmement mortelle » et « plus contagieuse » si l’on en croit un article paru dans la revue Nature.

Pour la première fois au monde, un ours blanc est mort de la grippe aviaire en Alaska en 2023. Ces prédateurs, à l’instar de cette famille photographiée dans le refuge faunique national de l’Arctique, sont déjà confrontés à de nombreuses menaces, et notamment le recul de la banquise.

PHOTOGRAPHIE DE Florian Schulz, Nat Geo Image Collection

C’est en 1996, dans un élevage d’oies du Guangdong, en Chine, que les scientifiques ont identifié pour la première fois le virus de l'influenza aviaire. Plusieurs épidémies saisonnières se sont depuis déclarées aux quatre coins du monde. Potentiellement mortel, le virus se transmet par les liquides organiques d’oiseaux sauvages contaminés, son principal vecteur, aux élevages de volailles. Ces derniers doivent alors procéder à des abattages massifs de leurs animaux pour tenter de contrôler la propagation de la maladie.

En France, depuis la détection du premier cas en novembre 2023, les autorités ont recensé des cas de grippe aviaire chez les oiseaux domestiques et sauvages sur l’ensemble du territoire. Aux États-Unis, le virus avait infecté plus de 82 millions d’oiseaux en date du 6 mars 2024 selon les U.S. Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies).

Depuis 2003, 20 pays ont rapporté 882 cas humains d’influenza aviaire, dont plus de la moitié se sont avérés mortels. Le risque actuellement posé par le virus aux personnes est néanmoins considéré comme faible. Ce qui n’empêche pas plusieurs spécialistes de faire preuve de prudence au regard de la situation actuelle et de souligner le potentiel pandémique de l’agent pathogène.

« Le virus de l’influenza aviaire est un électron libre », explique Andrew Derocher, biologiste à l’université d’Alberta, au Canada, qui étudie les ours blancs depuis 40 ans.

S’il estime que la mort de l’ursidé ayant contracté la maladie soit « quelque chose d’exceptionnel », il reconnaît que cela pourrait être « désastreux » pour l’espèce, déjà en danger d’extinction. Avec le réchauffement de l’Arctique et la débâcle de la banquise qui survient de plus en plus tôt, davantage d’ours blancs devront aller sur la terre ferme, où ils sont susceptibles de se nourrir d’oiseaux ayant succombé au virus.

« Que les ours blancs puissent contracter la maladie m’inquiète », reconnaît-il.

Et le roi de la banquise n’est pas le seul concerné. Le virus H5N1 pourrait aussi avoir de graves conséquences pour des espèces qui souffrent déjà d’une série de facteurs de stress anthropiques, comme la pollution, le changement climatique, la réduction de leur habitat et la prolifération des espèces envahissantes.

« Les animaux sauvages sont des vecteurs, cela va sans dire », observe Jude Lane, scientifique de la conservation à la Royal Society for the Protection of Birds (Société royale de protection des oiseaux) du Royaume-Uni. « Mais ce sont aussi des victimes », ajoute-t-il.

 

« LE CIEL ÉTAIT VIDE »

La plupart des années, il règne sur l’île écossaise de Bass Rock un brouhaha sans nom.

Les fous de Bassan nicheurs sont si nombreux sur le rocher que ce dernier en devient blanc. Mais en 2022, lorsque les scientifiques sont arrivés sur l’île pour procéder au recensement annuel des oiseaux, c’est un spectacle désolant qui les attendait.

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    Des scientifiques ont détecté des cas de grippe aviaire chez des manchots papous des îles Falkland en janvier 2024. Ces manchots couvent leurs œufs dans des nids faits de petites pierres, comme ici sur ce cliché pris à Neko Harbor, dans la péninsule Antarctique.

    PHOTOGRAPHIE DE Thomas Peschak, Nat Geo Image Collection

    « Bass Rock était la plus grande colonie au monde [de fous de Bassan, NDLR]. Elle grouillait de vie. Le rocher était comme vivant », rapporte le scientifique de la conservation. « Mais lorsque le virus a frappé, l’île est immédiatement devenue silencieuse ».

    Au cours des semaines et des visites qui suivirent, les chercheurs ont vu un tapis vivant de volatiles se transformer en patchwork. « Les oiseaux mourraient à nos pieds. Et le ciel était vide », se souvient Jude Lane de la conservation.

    Les scientifiques estiment qu’une souche particulièrement virulente du virus H5N1 a tué des milliers d’oiseaux dans 40 des 41 colonies de fous de Bassan étudiées en Europe. Des colonies qui représentent 75 % des sites de nidification de l’espèce dans le monde. À Bass Rock, l’occupation des nids a chuté de 71 %.

    Les données collectées à l’aide de balises GPS ont aussi révélé un nouveau comportement pour le moindre étrange : dès le début de l’épidémie, plusieurs fous de Bassan se sont envolés vers des colonies voisines, quelque chose que les oiseaux ne font habituellement pas. Il se peut donc, s’ils étaient infectés par le virus, qu’ils l’aient transmis à de nouvelles populations, participant ainsi à un phénomène de superpropagation aviaire.

     

    « LES ÉLÉPHANTS DE MER, ÇA NE SE NOIE PAS »

    Un évènement similaire impliquant des éléphants de mer du Sud s’est produit un an et demi plus tard à l’autre bout du monde, dans la péninsule de Valdés, en Argentine.

    C’est là que se trouve la seule colonie continentale de l’espèce. Les plages s’apparentent à une fosse où des mâles gigantesques mesurant six mètres de long se disputent des harems composés de femelles bruyantes et de leurs petits. Mais en 2023, elles semblaient être le théâtre d’un naufrage.

    En 2023, la grippe aviaire a provoqué une véritable hécatombe chez les éléphants de mer du Sud en Argentine (ci-dessus, des animaux photographiés dans les îles Falkland).

    PHOTOGRAPHIE DE Sérgio Pitamitz, Nat Geo Image Collection

    « Nous avons trouvé des plages silencieuses jonchées de carcasses », raconte Marcela Uhart, vétérinaire spécialiste de la faune à l’université de Californie à Davis, qui a travaillé en Patagonie argentine pendant 35 ans. « Des animaux de tout âge, jeunes et vieux, entassés sur la plage, alors que nous aurions dû voir des bêtes vivantes et en bonne santé ».

    La plupart des éléphants de mer qui s’accrochaient encore à la vie étaient des veaux, malades et seuls.

    « Lorsque la marée est montée et alors que nous quittions les lieux, certains d’entre eux se sont retrouvés dans l’eau. Ne parvenant pas à en sortir, ils se sont noyés », se souvient la vétérinaire. « On parle d’éléphants de mer. Les éléphants de mer, ça ne se noie pas », ajoute-t-elle.

    De retour au laboratoire, l’analyse des prélèvements effectués a confirmé que les phocidés avaient succombé à une souche très infectieuse du virus H5N1. Selon Marcela Uhart et son équipe, environ 17 400 veaux, soit 96 % des jeunes nés en 2023, sont morts. Comme chez les humains, les cas les plus graves peuvent entraîner une défaillance systémique des organes ainsi que des troubles neurologiques.

    Le virus s’est ensuite transmis aux oiseaux marins qui s’étaient nourris des carcasses. La vétérinaire raconte qu’il y avait tant de sternes mortes au sol que les goélands ont commencé à utiliser leurs cadavres pour fabriquer leur nid.

    Marcela Uhart est également autrice d’un rapport édifiant sur la mortalité liée à la grippe aviaire chez les animaux en Amérique du Sud. Entre octobre 2022 et novembre 2023, le virus a tué près de 600 000 oiseaux et plus de 50 000 mammifères appartenant respectivement à au moins 82 et 10 espèces différentes, principalement au Pérou et au Chili.

    « C’est inédit en Amérique du Sud ou en Antarctique », souffle la vétérinaire.

     

    LES ÉLEVAGES DE VOLAILLES NE SONT PAS ÉPARGNÉS

    Alors que des mammifères sauvages d’Amérique du Nord, notamment des lynx, des grands dauphins, des phoques gris, des coyotes et des moufettes, ainsi qu’une myriade d’oiseaux, notamment les pygargues à tête blanche, les colverts et les grands-ducs d’Amérique, ont contracté la maladie, aucun évènement macabre de cette envergure n’a été rapporté dans la région pour l’instant.

    Le Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) surveille la situation comme le lait sur le feu. Entre le 5 et le 26 février 2024, des cas de grippe aviaire ont été détectés chez des animaux sauvages dans 15 États, de la Californie à la Floride, en passant par le Maine.

    Plus d’une dizaine d’États ont conjointement confirmé des infections chez plus de 90 000 volailles de basse-cour et commerciales. Un chiffre peu élevé si on le compare aux plus de 9,5 millions de poulets et 208 millions de dindes abattus chaque année aux États-Unis, précise Shilo Weir, porte-parole de l’Animal and Plant Health Inspection Service (Service d’inspection sanitaire des animaux et des plantes) de l’USDA.

    « Il est important de souligner que le nombre de cas [de grippe aviaire] a diminué en 2023 par rapport à 2022 », indique-t-elle dans un e-mail.

    Cette diminution serait due à la mise en œuvre de mesures de biosécurité plus strictes, qui évitent la propagation du virus d’une exploitation à l’autre, ajoute-t-elle, mais aussi au fait qu’« il y a moins de virus dans l’environnement ».

     

    MAÎTRISER LE VIRUS AUTREMENT

    Que faire pour endiguer cette épidémie ? Pas grand-chose, malheureusement.

    Si la vaccination de condors de Californie, une espèce sauvage et en danger critique d’extinction, a été expérimentée contre le virus, les conditions logistiques nécessaires à la vaccination d’autres populations, qu’elles soient sauvages ou domestiques, ne sont pas encore réunies.

    « Cette solution n’est pas à écarter, mais il me paraît fou d’essayer de vacciner une colonie de fous de Bassan », remarque Jude Lane.

    Marcela Uhart estime que les vaccins pourraient protéger certains animaux sauvages, mais précise que le développement de ces produits a été avorté en raison des controverses qui entourent la santé humaine.

    « Je trouve qu’il est de plus en plus inacceptable de nos jours d’être prêts à abattre des milliards de poulets dans le monde pour contrôler une maladie que nous pourrions maîtriser autrement », explique-t-elle.

    Pendant ce temps, le virus continue de se propager, de s’adapter et de muter. Selon la vétérinaire, certaines souches pourraient ainsi être plus susceptibles d’infecter les mammifères, nous y compris.

    « Il s’agit de la zoonose la plus répandue et d’un virus présentant toutes les caractéristiques nécessaires à une propagation pandémique », conclut-elle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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