Égypte ancienne : en moins de cent ans, les rois nubiens ont changé le visage de l’Égypte

Les rois koushites de Nubie, anciens vassaux des pharaons, finirent par régner sur l’Égypte pendant près d’un siècle. Adoptant les rites égyptiens, ils fondèrent une culture qui influença les deux civilisations.

De David Rull Ribó
Publication 20 févr. 2025, 11:03 CET
Necropolis of Nuri

Le premier tombeau construit dans cette nécropole royale appartient à Taharqa, le grand pharaon nubien de la 25e dynastie qui régna au 7e siècle avant notre ère. Les Nubiens laissèrent plus de 200 pyramides dans l’actuel Soudan, soit davantage qu’on en trouve en Égypte.

PHOTOGRAPHIE DE Design Pics, Alamy, ACI

Au sud de l’Égypte, le Nil serpente à travers un vaste paysage désertique : l’antique région de Nubie, qui appartient désormais au Soudan. À partir de l’Antiquité, le destin de la Nubie fut marqué par la présence de six cataractes le long du Nil. À chacun de ces endroits, sous la contrainte du lit rocheux du fleuve, les eaux se mettent à tourbillonner. Elles forment de puissants rapides et empêchent toute navigation continue. Pour cette raison, durant de longues périodes à travers l’Histoire, la Nubie resta isolée de son influent voisin septentrional, l’Égypte. Mais à partir du 8e siècle avant notre ère, des pharaons nubiens d’un royaume koushite de l’actuel nord du Soudan dirigèrent l’Égypte. Pendant plus de cent ans, ils remirent à la mode et réadaptèrent des coutumes de l’Égypte ancienne, influençant par là le développement du pays pour les siècles à venir.

La première monarchie autochtone avérée en Nubie est la monarchie indépendante de Kerma, également appelée Koush, en Haute-Nubie. Elle connut son essor au second millénaire avant notre ère, période où les monarques koushites pratiquaient des rites religieux dans des édifices en brique d’argile tels que la colossale deffufa qui dominait la ville de Kerma.

En raison de la difficulté d’accéder à la Nubie par le fleuve, les interactions économiques, culturelles et même militaires avec l’Égypte voisine se faisaient via des itinéraires désertiques. À l’époque de l’Ancien Empire, les marchands égyptiens se rendaient jusqu’en Nubie pour vendre leurs marchandises et acquérir de l’or, de l’ivoire, de l’encens et des esclaves. Dans une lettre écrite autour de 2200 avant notre ère, le pharaon Pépi II dit à Hirkhouf, gouverneur de Haute-Égypte ayant voyagé jusqu’en Nubie : « Dirige-toi immédiatement vers le nord et viens à la résidence ! Dépêche-toi et amène avec toi cet esclave pygmée qui tu as rapporté du Pays des Habitants de l’Horizon vivant, en pleine forme et en bonne santé pour les danses du dieu, afin de réjouir le cœur, de ravir le cœur du roi Néferkarê qui vit éternellement ! »

Les ruines de Kerma, capitale du royaume nubien de Koush, en actuel Soudan, sont dominées par ...

Les ruines de Kerma, capitale du royaume nubien de Koush, en actuel Soudan, sont dominées par la deffufa occidentale, un temple en brique d’argile servant à des rituels.

PHOTOGRAPHIE DE ACI

Plus tard, lors du Moyen Empire, (1975-1640 av. J.-C. environ), les Égyptiens construisirent des fortifications en Basse-Nubie, faisant ainsi passer le territoire koushite situé entre la première et la deuxième cataracte (d’Assouan jusqu’à Abou Simbel et un peu au-delà) sous le contrôle des pharaons égyptiens. Leur intention était de contrôler le commerce dans la région et de sécuriser la frontière méridionale de l’Égypte.

Lors du Nouvel Empire (1539-1075 av. J.-C.), les premiers pharaons de la 18e dynastie annexèrent le territoire nubien jusqu’à la quatrième cataracte. Les pharaons nommèrent des vice-rois qui régnèrent sur les terres nubiennes (qu’ils appelaient Koush) de 1550 à 1069 avant notre ère environ. Ces vice-rois ordonnèrent la construction d’imposantes forteresses et de splendides temples, comme ceux d’Abou Simbel et de Soleb.

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    En 2003, ces statues de rois nubiens furent découvertes brisées et enfouies dans la cité cérémonielle de Doukki Gel, près de Kerma. Désormais restaurées, elles sont exposées au Musée de Kerma, au Soudan.

    PHOTOGRAPHIE DE National Geographic Image Collection

    Lors de la Troisième Période intermédiaire (1075-715 av. J.-C. environ), le gouvernement égyptien fut confronté à un chaos et à un déclin politiques. Les interventions pharaoniques furent plus ou moins épargnées à la Nubie et plusieurs royaumes koushites indépendants bourgeonnèrent. Dans l’un d’eux, créé près de la quatrième cataracte, une dynastie de dirigeants émergea au milieu du 8e siècle avant notre ère. Celle-ci établit la capitale du royaume à Napata et créa une nécropole sur le site voisin d’El Kourrou. Les dirigeants de ce royaume koushite finiraient par devenir eux-mêmes pharaons et par gouverner ceux qui autrefois les dirigeaient.

     

    TAHARQA, LE CONQUÉRANT

    Ce nouveau royaume koushite fut fondé par deux rois, Alara et Kashta. Piye, le fils de Kashta, repoussa plus tard les limites de l’empire jusqu’à Éléphantine, près de l’actuelle Assouan, et fit ainsi passer la Basse-Égypte sous contrôle koushite. Piye jeta également son dévolu sur la Haute-Égypte et, vers 727 avant notre ère, lança une campagne militaire qui le vit prendre Hermopolis et mettre à sac Memphis. Mais Piye revint à Napata sans avoir consolidé la domination koushite sur l’Égypte. Cette mission serait accomplie par ses successeurs Chabaka et Chabataka (ou Shebitku). Représentants d’une nouvelle dynastie égyptienne, la vingt-cinquième, ces rois nubiens déplacèrent leur capitale à Thèbes et accrurent leur mainmise sur le pays jusqu’au delta du Nil, ce qui témoigne de l’ampleur de leur poussée vers le nord.

    Le pharaon le plus célèbre de la 25e dynastie était sans doute Taharqa, frère de Chabataka. Selon de nombreux universitaires, Taharqa serait en fait le roi koushite Tirhaka, mentionné dans le Livre d’Isaïe, dans la Bible, lorsqu’il est question de l’invasion que lance le roi assyrien Sennachérib contre le royaume de Juda : « Alors le roi d’Assyrie reçut une nouvelle au sujet de Tirhaka, roi d’Éthiopie ; on lui dit : Voici, il s’est mis en marche pour te faire la guerre. » (2 Rois 19:9).

    Cette statuette en feuilles de bronze et d’or du 7e siècle avant notre ère représente Taharqa ...

    Cette statuette en feuilles de bronze et d’or du 7e siècle avant notre ère représente Taharqa faisant une offrande au dieu-faucon Hemen.

    PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

    D’après des sources égyptiennes, il apparaît que sous le règne de Chabataka, Taharqa aurait été chargé de soutenir le royaume de Juda contre les Assyriens. Finalement, Jérusalem ne tomba entre les mains des Assyriens, fait que la Bible attribue à la réponse du Seigneur au prières d’Ézéchias : « Cette nuit-là, l’ange de l’Éternel sortir, et frappa dans le camp des Assyriens cent quatre-vingt-cinq mille hommes […] Alors Sanchérib, roi d’Assyrie, leva son camp, partir et s’en retourna. » (2 Rois 19:35-36).

    Cette tête du début du 7e siècle avant notre ère représenterait le pharaon koushite Chabataka, troisième ...
    Cette tête de bélier, symbolisant Amon, est une partie d’un collier d’un roi nubien et a ...
    Gauche: Supérieur:

    Cette tête du début du 7e siècle avant notre ère représenterait le pharaon koushite Chabataka, troisième roi de la 25e dynastie. Elle est désormais exposée au Musée nubien d’Assouan, en Égypte.

    PHOTOGRAPHIE DE Album
    Droite: Fond:

    Cette tête de bélier, symbolisant Amon, est une partie d’un collier d’un roi nubien et a été fabriquée au 7e siècle avant notre ère.

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett

     

    TAHARQA, LE BÂTISSEUR

    Selon Taharqa, sa légitimé à exercer le pouvoir était non seulement héréditaire mais également divine. Sur une stèle située près du temple d’Amon à Kawa, il déclare : « Je reçus le diadème à Memphis après l’envol du faucon vers le ciel et après que mon père Amon eut ordonné que chaque terre […] soit placée à mes pieds. » Cela fait allusion au fait que le pharaon avait succédé à son prédécesseur à sa mort. L’identité du roi associé au faucon (c’est-à-dire au dieu Horus, souvent associé à un autre dieu-faucon, Hemen) n’est pas précisée, mais l’expression fait probablement référence à Chabataka qui, selon la même stèle, « l’aimait [Taharqa] plus que [n’importe lequel] de ses frères ». 

    Durant le règne de Taharqa, qui dura près de vingt-six ans, le pharaon ordonna la construction de nombreux monuments et édifices religieux. À Thèbes, il fit ajouter de nouveaux espaces au grand temple d’Amon-Rê, à Karnak, notamment une structure appelée kiosque de Taharqa dans la première cour. Il fit reconstruire le sanctuaire d’Amon à Napata et fit édifier un temple à Amon à Kawa vers 680 avant notre ère. Dans le sanctuaire de Kawa, une inscription commémorative annonce ceci : « Sache ceci, mon esprit est [tout à] la [re]construction du temple de mon père, Amon-Rê de Kawa, car il est fait de brique [seulement] et couvert de terre. »

    Necropolis of El Kurru

    Les dirigeants de la capitale nubienne, Napata, furent enterrés à El Kourrou de 850 à 650 av. J.-C. principalement. On voit ici la plus grande pyramide du site, construite vers 325 avant notre ère, bien après l’apogée de la nécropole royale.

    PHOTOGRAPHIE DE Eric Lafforgue, Alamy, ACI

    Taharqa fit construire sa pyramide funéraire à Nouri, sur la rive opposée à la nécropole d’El Kourrou, où gisaient ses ancêtres. La raison derrière ce changement de lieu est trouble, mais il est probable que le site de la nécropole ait eu un lien avec le Gebel Barkal, la « Montagne Pure » de Napata, une butte naturelle en grès qui dominait la capitale nubienne. Le sommet de ce tertre, qui atteignant une hauteur de 75 mètres, ressemblait, disait-on, à un cobra dressé (l’uraeus), un symbole de royauté. Depuis le Gebel Barkal, le jour de l’an, le soleil semblait se lever directement au-dessus du sommet de la pyramide de Taharqa. Étant donné que cette fête coïncidait avec la crue annuelle et régénérative du Nil, on associa Taharqa non seulement au dieu du soleil Rê mais également à Osiris, dieu de l’au-delà et de la fertilité.

     

    L’HÉRITAGE DE TAHARQA

    La mort de Taharqa, en 664 avant notre ère, marqua le déclin du règne nubien sur l’Égypte. Taharqa avait déjà abandonné le contrôle de la Basse-Égypte à Assurbanipal en 667 avant notre ère. Le successeur de Taharqa, son neveu Tanoutamon, repris brièvement le contrôle de la Haute-Égypte avant d’être défait de nouveau en 663 avant notre ère par Assurbanipal. Tanoutamon fut contraint de revenir en Nubie où il demeura jusqu’à son décès.

    Après la chute de la vingt-cinquième dynastie, le nouveau royaume de Méroé fut créé en Nubie et maintint la flamme de la culture égyptienne jusqu’au 4e siècle de notre ère. Là, le temple de Naqa, où des divinités nubiennes telles que le dieu-lion Apédémak sont représentées au côté du dieu égyptien Horus, incarne la culture syncrétique que les Koushites ont entretenue et les liens éternels entre la Nubie et l’Égypte.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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