Le tarot permet de prédire l'avenir... et révèle le passé
Objet ludique, artististique et même politique, le tarot était d'abord un jeu de cartes destiné à l'élite italienne. Il n'est devenu un objet spirituel que dans les années 1970.
Présentant des images mystérieuses, telles que le pendu ou le hiérophante, les cartes de tarot ont inspiré des récits fantaisistes quant à leur origine. Associé aujourd'hui à la cartomancie, le tarot est souvent considéré comme étant originaire d'Asie de l'Est.
Les chercheurs pensent aujourd'hui que les règles du tarot n'ont été élaborées ni en Chine ni en Inde, mais dans l'Italie de la Renaissance. D'abord jeu de cartes destiné à l'élite italienne, le tarot n'a été utilisé que beaucoup plus tard pour prédire l'avenir.
Au cours de sa longue évolution, le tarot a été sans cesse réinventé. Comme l'écrit Helen Farley dans A Cultural History of Tarot, « le tarot a évolué et s'est adapté aux courants culturels de différentes époques ». Les premières utilisations du tarot reflétaient les critiques à l'égard du pouvoir de l'Église catholique. Plus tard, au début du 19e siècle, ces cartes ont marqué un tournant vers le mysticisme, qui a trouvé un écho d'autant plus important dans une époque marquée par la pandémie de grippe espagnole (1918-1919) et les deux guerres mondiales.
LE TRIOMPHE DES CARTES
Bien que le tarot soit une invention européenne, les jeux de cartes dont il est issu ont été conçus en Chine et se sont ensuite répandus dans le monde arabe et islamique. Arrivés en Italie dans les années 1300, après être passés par l'Égypte, les jeux de cartes sont rapidement devenus populaires dans toutes les classes sociales d'Europe.
Un jeu de cartes égyptien conservé au palais de Topkapi, à Istanbul, ne représente pas de figure humaine. Les premiers jeux de cartes européens, en revanche, comportaient des images de personnes : des professions courantes, comme les poissonniers ou les ecclésiastiques, ainsi que les rois, les reines et les chevaliers que l'on connaît dans les jeux de cartes modernes.
Dans les années 1370, peu après leur apparition en Europe, les jeux de cartes ont commencé à susciter la défiance de l'Église. Considérés comme une activité frivole associée aux jeux de hasard, il y eut plusieurs tentatives pour les interdire. Des archives municipales font état de tentatives d'interdiction des jeux de cartes à Florence et à Paris dans les années 1370, ainsi qu'à Barcelone et à Valence dans les années 1380.
Dans la pratique, l'interdiction des cartes était difficile à appliquer, et les jeux de cartes circulaient malgré tout. En privé, ces jeux étaient populaires au sein de l'aristocratie, qui faisait peindre ses jeux à la main et les conservait dans des boîtes magnifiquement décorées. Un jeu, pratiqué par toutes les classes sociales, comprenait certaines cartes ayant le pouvoir de surpasser ou de triompher des autres.
Le premier indice de l'émergence du tarot apparaît dans une lettre écrite en 1449 par un capitaine militaire vénitien à la reine de Naples, Isabelle d'Anjou (aussi appelée Élisabeth de Sicile) lui offrant un jeu de cartes. La lettre décrivait le jeu comme « une nouvelle et exquise sorte de triomphes », conçu trente ans auparavant par un jeune prince milanais, le duc Philippe Marie Visconti.
Visconti, explique la lettre, avait demandé à un peintre renommé, Michelino da Besozzo, de peindre les cartes « avec le plus grand artifice et le plus grand ornement ». Le jeu n'a pas traversé les siècles, mais on pense qu'il comprenait seize divinités classiques, réparties en quatre ordres : Vertus, Richesses, Virginités et Plaisirs. Vénus, par exemple, faisait partie de l'ordre des plaisirs, et Apollon de celui des vertus.
Les historiens pensent que la description du jeu faite dans la lettre marque une étape de transition entre le jeu standard de l'époque de la Renaissance et le développement du jeu de tarot tel qu'on le connaît aujourd'hui. Parmi les autres jeux qui ont marqué l'histoire du tarot, citons le jeu Visconti-Sforza, commandé par le gendre de Visconti, Francesco Sforza. Dans les années 1440, un autre jeu apparut dans la ville italienne de Bologne, développé par le noble Francesco Fibbia. Ce jeu de soixante-deux cartes était utilisé pour jouer à ce que l'on appelait tarocchi, un jeu qui, au fur et à mesure qu'il se répandait en Europe, fut connu en français sous le nom de tarot.
CARTES SUR TABLE
La popularité du tarot à la Renaissance n'est probablement pas une coïncidence. Comme le note Helen Farley, la Renaissance se caractérisait par « la jouissance des plaisirs quotidiens et un sens croissant de l'expression de soi ».
Les dessins des cartes de tarot reflètent l'agitation de l'époque, le faste, la richesse de l'Église qui contrebalançaient avec les affres des guerres qui agitaient l'Europe. Le jeu Visconti-Sforza donne à voir la prévalence de la corruption au sein de l'Église et la proximité d'une mort violente et soudaine. L'une des images du jeu est un squelette tenant un arc et des flèches.
Malgré la violence de ces images, le tarot est resté un jeu pendant près de deux cents ans. Puis, à la fin du 18e siècle en France, tout changea. En réaction au rationalisme des Lumières, l'ésotérisme gagna en popularité. À la suite de la campagne napoléonienne en Égypte à la fin des années 1700, cet ésotérisme fut alimenté par la fascination pour tout ce qui avait trait à l'Égypte.
Une image familière des cartes de tarot, la Roue de la Fortune, orne le sol de la cathédrale de Sienne, en Italie, datant du 14e au 16e siècle. L'abondance d'images non chrétiennes sur le sol reflète la tendance classique de la Renaissance, qui a à son tour inspiré la conception émergente du jeu de tarot.
DIMENSION SPIRITUELLE
L'hypothèse populaire selon laquelle le tarot est un artefact de la sagesse antique est en grande partie le fait d'écrivains français du 19e siècle, en particulier Antoine Court de Gébelin, qui tomba sous le charme de l'égyptomanie. Selon lui, le tarot serait né d'une ancienne prêtrise égyptienne utilisant le Livre de Thot, obligée de cacher ses secrets dans un jeu pour assurer sa survie.
De l'autre côté de la Manche, les membres de l'ordre mystique Golden Dawn redessinèrent le tarot. L'occultiste Arthur Edward Waite et l'illustratrice Pamela Colman Smith ont créé le jeu Waite-Smith au début du 20e siècle, en le reliant à la légende du Graal, aux histoires médiévales centrées sur l'emplacement de la coupe utilisée par Jésus lors de la Cène.
Dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale, de nombreux Européens et Nord-Américains reprirent goût au spiritisme, afin de renouer avec les êtres chers perdus pendant la guerre. Devenu outil de divination, le tarot est regagna en popularité. Le poète américain T.S. Eliot s'inspira des cartes dans son poème de 1922, « The Waste Land », une chronique du fléau spirituel de l'après-guerre. L'un des personnages du poème, Madame Sosostris, est une diseuse de bonne aventure. Son nom ressemble à celui d'un pharaon de la XIIe dynastie, reflétant l'idée selon laquelle le tarot serait né en Égypte :
Voici l’homme aux trois bâtons, et voici la Roue,
Et voici le marchand qui n’a qu’un œil, et cette carte
Laissée en blanc, c’est une chose qu’il porte sur le dos,
Mais qu’il m’est interdit de voir. Je ne trouve pas
Le Pendu. Redoutez la mort par l’eau.
REGAIN D'INTÉRÊT
Dans les années 1970, le mouvement New Age s'imposa comme une force de paix dans le tumulte et les tensions de la Guerre froide. Une fois de plus, le rôle du tarot changea pour refléter l'époque.
Ces dernières années, le tarot est revenu sur le devant de la scène culturelle, soulignant un nouveau besoin de spiritualité. La recherche de sources plus holistiques pour participer au développement personnel ayant augmenté, les gens se tournent à nouveau vers le tarot.
Le jeu standard de soixante-dix-huit cartes est considéré par les joueurs comme un moyen d'améliorer la prise de conscience des émotions des gens, dans une période de grande anxiété. Les jeux de tarot sont disponibles dans une variété infinie de thèmes populaires, reflétant le désir immémorial d'une imagerie à la fois compréhensible et permettant d'échapper à la réalité.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.