La veille de Noël 1800, Napoléon a été visé par un attentat
Le 24 décembre 1800, des rebelles monarchistes tentèrent d'assassiner Napoléon Bonaparte avec une bombe alors qu'il se rendait à l'opéra.
Le 24 décembre 1800, des rebelles monarchistes tentèrent d'assassiner Napoléon Bonaparte avec une bombe alors qu'il se rendait à l'opéra.
La nuit du 24 décembre 1800 eut lieu la première représentation française de La Création, un oratorio du célèbre compositeur Joseph Haydn, au théâtre de la République et des Arts à Paris. Peu après que l'orchestre commença à jouer, un coup de tonnerre provenant de l'extérieur du bâtiment interrompit le mouvement d'ouverture, intitulé « Représentation du chaos ». Chaos, c’est le mot, car une bombe artisanale, destinée à Napoléon Bonaparte, était à l'origine du vacarme.
Napoléon était alors premier consul de la République française depuis près d'un an. Dans l’objectif de rétablir l'ordre et l'unité dans une France post-révolutionnaire, il avait institué des réformes populaires, notamment en créant le système des lycées pour l'enseignement secondaire et en créant la Banque de France afin d’améliorer la stabilité financière du pays. Son ascension au pouvoir lui avait également valu de nombreux ennemis. Alors que les jacobins, fidèles au gouvernement qui avait précédé le coup d'État de Napoléon, considéraient le premier consul comme un traître à la révolution, les royalistes cherchaient à restaurer l'ancien régime monarchique et la dynastie des Bourbons.
Cette gravure de la tentative d'assassinat illustre le chaos ayant suivi l'explosion de la « machine infernale » le 24 décembre 1800.
Durant la première année du consultat, l'opposition s’organisait et fomentait des complots, des tentatives d'assassinat et des conspirations contre Napoléon. La Malmaison, domaine situé à l'ouest de Paris et appartenant à son épouse Joséphine, était le théâtre de plusieurs complots présumés dont aucun ne fut mené à exécution. En octobre 1800, quatre hommes considérés comme des Jacobins s'armèrent de couteaux dans l’objectif de poignarder Napoléon dans sa loge à l'opéra, dans le cadre de ce que l'on appelle la « conspiration des poignards ». Les conspirateurs furent découverts, arrêtés et plus tard exécutés pour avoir planifié la mort du nouveau dirigeant français.
LES PRÉPARATIFS
La presse avait déclaré que Napoléon assisterait à la première française de l'oratorio le 24 décembre. Georges Cadoudal, ancien chef des rebelles royalistes nommés les Chouans, dont les armées avaient été vaincues par Napoléon plus tôt dans l'année, avait également prévu son propre grand « début » pour ce soir-là. Cadoudal fit appel à trois autres vétérans pour cette opération : Pierre Robinault de Saint-Régent, Joseph Picot de Limoëlan et François-Jean Carbon de Paris. Ces co-conspirateurs avaient l'intention de tuer Napoléon et d'éliminer ainsi l'homme qu'ils considéraient comme le plus grand obstacle à la restauration de la dynastie des Bourbons.
Le 17 décembre, Carbon acheta une petite charrette et un cheval à un marchand de grains parisien. Le 24 décembre, à la tombée de la nuit, Limoëlan et Carbon conduisirent cette charrette depuis un immeuble vide en périphérie de la capitale jusqu'à l'arc de triomphe de la porte Saint-Denis, au centre de Paris. Ils attachèrent un grand tonneau de vin chargé de 90 kilos de poudre à canon et de pierres tranchantes à la charrette. Une fois le tonneau transformé en bombe, il prit le nom de « machine infernale », qui exploserait à l'aide d'une mèche allumée à la main.
Napoléon empruntait toujours le même itinéraire pour se rendre au théâtre. Sa voiture partait du palais des Tuileries, traversait la place du Carrousel et tournait à gauche dans la rue Saint-Nicaise. Robinault laissa donc le cheval et la charrette au bout de la rue Saint-Nicaise, en entassant des pierres et des gravats autour d'eux pour donner l'impression d’une panne. La charrette était positionnée de sorte que la route fut partiellement bloquée et la bombe, dissimulée dans du foin, de la paille et sous un sac d'avoine.
Pendant ce temps, Limoëlan attendait place du Carrousel pour voir l'escorte de cavalerie de Bonaparte quitter le palais des Tuileries. Une fois le convoi repéré, il donna à Robinault le signal d'allumer la mèche, qui mettait plusieurs secondes à brûler. Pour s'assurer que personne n'interférât avec la charrette ou ne la déplaçât, Robinault paya une jeune fille de quatorze ans du nom de Marianne Peusol, pour qu'elle tint les rênes du cheval pendant qu'il se préparait à allumer la mèche.
UNE NUIT À L'OPÉRA
Tandis que les conspirateurs mettaient leur piège en place, Napoléon et sa famille se préparaient pour le concert. Selon le général Jean Rapp, aide de camp de Napoléon, ce dernier s'impatientait pendant que sa femme, Joséphine, arrangeait avec irritation un châle qu'elle venait de recevoir. Napoléon décida de partir et monta dans son carrosse accompagné de trois de ses généraux pour parcourir les 800 mètres qui le séparaient du théâtre. Joséphine le suivit dans une seconde voiture avec sa fille Hortense, le général Rapp et Caroline Bonaparte, la sœur de Napoléon.
La voiture du premier consul s'éloigna rapidement, laissant derrière elle l'escorte de cavalerie. Pris au dépourvu par l'apparition soudaine de la voiture de Napoléon, Limoëlan ne parvint pas à donner son signal à temps à Robinault. Pendant ce temps, le premier cavalier de l'entourage de Napoléon, voyant une charrette bloquer une partie de la route devant lui et un carrosse bloquer l'autre côté de la route, se fraya un chemin entre les deux véhicules afin de libérer l’espace pour le carrosse de Napoléon. Robinault affirma plus tard qu'il avait été renversé par le cheval du cavalier, mais que dans la confusion, il avait perdu Limoëlan de vue et allumé la mèche quelques secondes trop tard. La bombe explosa une fois Napoléon loin, et seules les vitres de son carrosse furent endommagées.
La place du Carrousel, que le carrosse de Napoléon traversa alors qu'il se rendait à un concert en 1800, abrite depuis un arc de triomphe, construit vers 1808 en l'honneur de ses victoires.
Quand la bombe explosa, la voiture de Joséphine venait tout juste d'atteindre la porte du palais. Les vitres de son carrosse se brisèrent également et la main d'Hortense fut entaillée par un éclat de verre. L'un des cavaliers d'escorte vint les informer que Napoléon allait bien et qu’ils devaient le rejoindre au théâtre.
Marianne Peusol et le cheval moururent sur le coup. Les bâtiments situés à proximité de l'explosion furent gravement endommagés ou détruits. Le nombre de victimes varie selon les récits, mais peu de passants de la rue Saint-Nicaise, une rue animée et très fréquentée, s'en sortirent indemnes. Lorsque le général Rapp arriva au théâtre, il trouva Napoléon « calme et impassible », observant le public en train d'applaudir à travers ses jumelles d'opéra. Napoléon dit alors « très sereinement » à Rapp : « Ces coquins voulaient me faire sauter. Apportez-moi un livre de l'Oratorio. »
Le plan des rues ci-dessus, détail d'une gravure de Paris du 18e siècle, montre l'endroit où l'attaque a eu lieu. Le lendemain, la presse publie des comptes rendus saisissants de l'atrocité. Le Moniteur Universel relate « l’explosion terrible » ayant eu lieu « à huit heures du soir, [au moment où] le Premier Consul se rendait à l’Opéra avec son piquet de garde... ». Elle tua trois femmes, un commerçant et un enfant. Quinze personnes furent blessées et une quinzaine de maisons, considérablement endommagées.
Napoléon imputa l'attentat aux Jacobins « buveurs de sang ». Furieux, il déclara à son ministre de police, Joseph Fouché qu'un crime aussi atroce méritait qu'ils se vengent à la façon d’un coup de tonnerre, que le e sang devait couler et qu'il fallait fusiller autant de coupables qu'il y avait eu de victimes. Fouché suggéra que les royalistes avaient planifié l'attentat, mais Napoléon continua d'accuser les Jacobins. Il suivit alors les ordres de ce dernier et arrêta 130 d'entre eux.
La police retrouva le marchand de grains qui identifia les restes de la charrette et décrivit en détail l'acheteur, Carbon. Les policiers localisèrent également l'écurie où les conspirateurs avaient gardé la jument, identifiée par ses fers. Carbon fut arrêté et ne tarda pas à dénoncer ses complices. Robinault fut capturé et exécuté avec Carbon le 20 avril 1801. Limoëlan s'enfuit aux États-Unis et Cadoudal, en Grande-Bretagne avant de revenir, plus tard, en France pour se lancer dans un autre complot raté contre Napoléon. Il fut capturé et exécuté en 1804.
LA PEUR COMME ARME
La « machine infernale » constituait la première bombe à être utilisée pour une tentative d'assassinat. Ce n’était ni le premier ni le dernier attentat contre Napoléon. Cependant, il avait cela d’unique qu'il visait un individu mais n'était pas d'effet discriminatoire. Cet acte donna une nouvelle orientation à la dissidence politique.
Pendant le règne de la Terreur de la Révolution française (1793-94), le mot « terrorisme » apparut pour décrire l'utilisation de la peur à des fins politiques, telle qu'elle était employée par le régime en place. Il punissait les personnes considérées comme opposées à la révolution dans l’objectif d’éradiquer les ennemis existants, mais aussi d’empêcher une opposition future.
Après avoir été condamné à mort en 1804 pour avoir fomenté l'assassinat de Napoléon, Georges Cadoudal refusa d'implorer sa clémence. En juin de la même année, Cadoudal fut le premier des douze prisonniers royalistes à être guillotiné. Armand de Polignac, artiste et royaliste, a illustré la scène dans cette aquarelle du 19esiècle.
Au lendemain de la révolution, très agité, la signification du mot « terrorisme » a évolué pour s'appliquer non plus à la violence perpétrée par un gouvernement, mais à celle perpétrée contre un gouvernement. L'acte terroriste des rebelles royalistes visait à faire chuter un dirigeant et mettre fin à une idéologie qu'ils détestaient.
Ce complot a eu des conséquences inattendues. Bien que les vrais coupables soient les royalistes, Napoléon saisit tout de même l'occasion de réprimer les Jacobins, en insistant pour qu'ils soient exilés de France. Napoléon a pu punir et se débarrasser de ses ennemis dans les deux camps en renversant les menaces potentielles à son ambition autoritaire. Quatre ans plus tard, il se couronna empereur des Français.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.