Vaiana 2 : ce que les tatouages de Maui révèlent de la culture polynésienne
Aux Samoa, aux Tonga et à Hawaï, un tatouage peut signifier que l’on a pris le serment sacré de protéger sa communauté et de lui faire honneur.
Ce portrait du rangatira (chef) māori Tāmati Wāka Nene, réalisé en 1890, montre le raffinement de son tā moko (tatouage facial). À l’instar des tatouages d’autres cultures polynésiennes, les tatouages māoris peuvent représenter le devoir envers sa communauté et la promesse qu’on lui fait.
À l’occasion de la sortie du film Vaiana 2, le public brûle de découvrir une nouvelle aventure riche en rebondissements. Le premier film avait été loué pour son hommage joyeux aux cultures océaniques, nommé pour deux Oscars et rapporté plus d’un demi-milliard de dollars aux box-office mondial.
Des spécialistes de tout le Pacifique, et notamment des îles Fiji, de Tahiti et des Samoa, ont contribué à donner vie au demi-dieu Maui ; farceur métamorphe non dénué d’humour et de cœur ayant en prime une très belle voix. Son personnage est profondément ancré dans les mythes et dans le folklore polynésiens.
Grâce à ses tatouages caractéristiques, nous pouvons en apprendre plus sur la place qu’occupe cette pratique dans les îles du Pacifique, sur ce que communique son iconographie et sur la façon dont les tatouages lient les chefs à leur communauté.
Maui fait son retour dans Vaiana 2.
QUI EST MAUI ?
Bien que les histoires entourant son personnage varient, Maui occupe systématiquement un rang de demi-dieu dans les légendes des îles du Pacifique. Les récits de ses exploits, comme le fait d’avoir fait surgir ces îles hors de l’eau, constituent un thème commun. « Chaque île raconte une histoire légèrement différente », révèle Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u, tatoueur tonguien exerçant à O‘ahu.
L’une des légendes les plus célèbres sur Maui raconte qu’il aurait ralenti la course du soleil, prouesse qu’il aurait accomplie en piégeant celui-ci à l’aide d’une corde magique, et ainsi permis aux humains de travailler plus longtemps. Maui fait allusion à cette histoire dans Vaiana : La légende du bout du monde quand il chante « Pour les hommes ». « Dans la culture tonguienne, Maui répare les erreurs ou résout les problèmes de tout le monde » explique Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u. « Pour nous, Maui était un héros du peuple, un défenseur des classes populaires. »
Dans la légende māorie, Maui et son frère pêchent dans un canoé qui est désormais l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande (Te Waipounamu). À l’aide d’un hameçon qui est en fait un morceau de la mâchoire de sa grand-mère, Maui capture le poisson géant que l’on appelle désormais île du Nord (Te Ika-a-Māui). À Hawaï, on dit que Maui partit pêcher avec ses frères et qu’il remonta les îles hawaïennes de l’eau avec son hameçon magique. « Nous pouvons être des Tonga, des Samoa, d’Hawaï ou de Tahiti, mais nous formons tous un seul et unique peuple, affirme Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u. Nous racontons ces histoires aux enfants en boucle. Pour nous, c’est une vraie personne. »
SES TATOUAGES
En 2011, John Musker et Ron Clements, réalisateurs historiques de Disney, se sont embarqués dans un voyage de recherche pour Vaiana dans toute la Polynésie. Cette expédition a mené à la création de l’Oceanic Trust, un groupe éclectique d’historiens, d’anthropologues, de linguistes et de professionnels de la culture qui ont donné forme à de nombreux détails du film. Parmi eux figuraient le maître-tatoueur Su‘a Peter Sulu‘ape et l’anthropologue Dionne Fonoti. Leur rôle a été crucial pour reproduire exactement les motifs des tatau (« tatouage » en samoan) dans le film.
Su‘a Peter Sulu‘ape appartient à une longue lignée de tatoueurs samoans ; l’une des deux dernières familles de tatoueurs encore en exercice, rappelle-t-il. « Ce sont des connaissances jalousement protégées », explique Dionne Fonoti. Certains éléments du tatau sont sacrés, si bien que seuls quelques élus sont dépositaires de ce savoir.
Ils souhaitaient « être certains que ces personnages aient des caractéristiques que les Samoans reconnaîtraient », ainsi que le raconte Dionne Fonoti. « Nous savons à quoi les tatouages ressemblent aujourd’hui, mais à quoi pouvaient-ils bien ressembler il y a des milliers d’années ? »
Les tatouages de Maui ont été délibérément conçus comme une exposition narrative plutôt que comme une représentation réaliste ou exacte du tatau. Par exemple, on voit sur la poitrine du demi-dieu une de ses effigies tatouées en train de capturer le soleil. Dans la culture samoane, on ne fait pas explicitement tatouer ses exploits. « Les Samoans sont particulièrement humbles. Nous ne nous vantons jamais, ni ne nous louons au sens littéral. Même notre langue et la façon dont nous exprimons nos émotions, tout cela est très métaphorique », explique Dionne Fotoni.
Illustration réalisée entre 1803 et 1807 sur laquelle figure une personne originaire de Nuku Hiva, la plus grande des îles Marquises.
Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u, qui a fait son apprentissage sous les ordres de Su‘a Alaiva‘a Sulu‘ape, père de Su‘a Peter, fait observer que « Maui porte des tatouages tribaux néo-polynésiens, un style contemporain apparu à la fin des années 1990 comme une fusion entre art polynésien et asiatique, entre graffiti et illustration, le tout mâtiné de motifs tribaux ». Il est également admis dans toute la Polynésie que quiconque peut porter des tatouages tribaux néo-polynésiens, qu’importe l’appartenance ethnique.
En revanche, le tatatau (« tatouage » en tonguien) traditionnel réalisé à l’aide d’outils manuels est réservé aux personnes d’une certaine ethnie, d’une certaine lignée et d’un certain rang. « Le tatatau est spirituel et sacré, car il est profondément ancré dans le patrimoine des peuples d’Océanie, explique Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u. Certains symboles nous reconnectent à nos ancêtres et à des éléments comme fonua (la terre), moana (l’océan), langi (le ciel) et les étoiles célestes qui les guident quand ils naviguent sur le vaste océan. »
Quand Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u pratiquera le tatatau, il pénétrera dans une salle différente, consacrée à ce type d’ouvrage. Durant le processus de tatouage, la porte restera fermée : « Celui-ci est empreint d’une certaine gravité. C’est un serment que vous faites de vous allonger là et de prendre cet engagement envers votre peuple », développe-t-il.
L’individu recevant le tatatau est rejoint par sa famille ou par son village durant le processus. Ainsi ils peuvent le soutenir dans cette douloureuse épreuve mentale et physique. Ces sessions peuvent durer des semaines, voire des mois, et quand le tatatau est terminé, on organise une cérémonie d’ordination suivi d’un festin de célébration organisé par sa famille et son village. « Cette ordination symbolise son engagement et son devoir de servir son Dieu, ses ancêtres, sa famille et le village » explique Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u.
Dans le film, Maui possède également une petite version tatouée de lui-même qui s’anime sur son corps et est dotée d’une attitude et d’un esprit propres. Mini Maui joue quasiment un rôle de Jiminy Cricket, celui d’une conscience guidant le demi-dieu pour qu’il prenne les bonnes décisions.
Selon le tatoueur traditionnel hawaïen Kalehua Krug, cette notion de conscience vaut pour les vrais tatouages également : « Les marques que vous laissez sur votre corps sont là pour vous rappeler l’engagement que vous avez pris et devraient guider vos comportements et vos décisions dans le rôle que vous avez accepté au sein de votre communauté. »
Si le Kākau uhi, le tatouage traditionnel hawaïen, n’avait pas été documenté aux 18e et 19e siècles, ses motifs ancestraux auraient été perdus à jamais.
À Hawaï, le maka uhi (tatouage facial) est un autre symbole de pouvoir et de statut. Kalehua Krug porte plusieurs maka uhi ; des triangles vont de l’arrière de son crâne à son menton, et une épaisse bande noire qui traverse sa bouche représente son rôle d’orateur cérémoniel.
« L’idée du kākau (« tatouage » en hawaïen) et d’apposer des dessins permanents sur la peau reflète l’idée d’engagement en Polynésie, confie-t-il. Quand vous portez ces motifs, c’est une manifestation physique d’un accord que vous avez passé avec vous-même, vos ancêtres et votre communauté. C’est un signe de kuleana (responsabilité). »
LES MARQUES DES CHEFS
Le père de Vaiana, Tui, qui est également chef de l’île de Motunui, porte le pe‘a, un tatouage corporel complexe traditionnellement arboré par les chefs samoans. Les pe‘a se composent de bandes noires, de flèches et de points caractéristiques représentant la disposition de celui qui les porte à servir sa communauté et à diriger avec honneur. Chaque rangée indique famille, rang et profession.
« Il était important de prendre en compte le rang de Tui à Montunui autant que sa personnalité et sa façon de s’adresser aux autres… le pe’a représente le type de personne qu’il est, explique Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u. Son pe‘a signifie service, kuleana, envers l’océan et la terre. »
Le pe‘a a tout de suite sauté aux yeux de Su‘a Sulu‘ape Pili Mo‘o, un collègue tatoueur exerçant sur l’île de Maui. « J’étais très heureux de voir que Disney ne s’était pas trompé en donnant au père de Vaiana ce tatouage réservé aux chefs », se souvient-il. De même que pour le maka uhi d’Hawaï, le processus consistant à recevoir un pe’a est éprouvant. Plusieurs semaines, et parfois plusieurs mois, étant nécessaires à sa réalisation, on considère que c’est un rite de passage pour ceux qui accèdent à des rôles de dirigeants. Refuser ce tatouage ou ne pas le faire jusqu’au bout est vu comme un signe de faiblesse, indigne d’une personne de pouvoir.
Certains motifs réservés aux chefs sont des motifs sacrés destinés à des parties du corps spécifiques et symbolisant une lignée ancestrale. « Ces tatouages signalent le rang et la qualité de chef, ils représentent le serment pris de servir son territoire », explique Su‘a Sulu‘ape Toetu‘u.
Dans Vaiana 2, ce dernier a de nouveau laissé sa marque, cette fois-ci sur le corps de Matangi, un nouvel antagoniste, où figurent des motifs inédits. Lui et Dionne Fonoti ont également aidé Disney à créer les motifs samoans visibles sur les pétroglyphes, les vêtements et les canoés du film.
« Ça a été une grande responsabilité, explique-t-il. Les tatouages sont une part très importante de notre culture. Dès le premier jour, j’ai cherché à m’assurer que j’étais capable de garder notre culture sur le bon chemin, que nous racontions effectivement la bonne histoire. J’espère avoir réussi à mettre en lumière notre culture auprès des spectateurs. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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