Kyoto : l’histoire incomprise des geishas à l'heure du sur-tourisme

En réaction aux flots continus de touristes parfois "indisciplinés", une interdiction empêchant les touristes de se rendre dans les quartiers des geishas de Kyoto est entrée en vigueur cette année.

De Julia Shiota
Publication 2 juil. 2024, 11:04 CEST
Une geisha traverse une rue de Kyoto. Les artistes iconiques sont devenues un symbole de la ...

Une geisha traverse une rue de Kyoto. Les artistes iconiques sont devenues un symbole de la riche histoire culturelle du Japon et un bon nombre de touristes étrangers espèrent les apercevoir, pas toujours de manière respectueuse.

PHOTOGRAPHIE DE Justin Guariglia, Nat Geo Image Collection

Pour beaucoup, le terme « geisha » évoque une image saisissante : un visage peint d'un blanc éclatant, une chevelure noire sculptée et brillante et un kimono traditionnel aux couleurs éclatantes.

Depuis 2021, le Japon est aux prises avec un nombre croissant de touristes étrangers : 25 millions en 2023 et 11.6 millions pour les seuls quatre premiers mois de 2024. Nombre d'entre eux se rendent à Kyoto, la deuxième destination la plus populaire du pays après Tokyo, dans l'espoir d'apercevoir les artistes emblématiques.

Des geishas dansent au théâtre Gion Kobu Kaburenjo de Kyoto. Les danses pratiquées par les geishas sont issues des théâtres Nô et Kabuki. 

PHOTOGRAPHIE DE Michael S. Yamashita, Nat Geo Image Collection

Les geishas portent des perruques appelées katsura, faites de vrais cheveux sculpés.

PHOTOGRAPHIE DE Jodi Cobb, Nat Geo Image Collection

La ville, considérée comme la capitale culturelle de la ville et comme haut lieu de l'activité des geishas, a été inondée de voyageurs ignorant ou fermant délibérément les yeux sur l'étiquette et les règles du quartier des geishas, Gion.

Après que les habitants de Gion ont déposé des plaintes contre des « touristes indisciplinés », le gouvernement local a été forcé d'agir, mettant en place une interdiction de séjour pour les touristes qui a pris effet plus tôt cette année. « Kyoto n'est pas un parc à thème », a déclaré le conseil local. L'amende pour intrusion s'élève à 10 000 ¥, ce qui représente environ 57 euros.

Des plaintes répétées contre des touristes ont été déposées par des geishas, appelées geikos dans cette région, et par des maikos, les apprenties geikos, souvent des adolescentes, qui sont souvent prises en photos sans leur consentement, même si de nombreux panneaux ont été installés à Kyoto pour indiquer clairement les règles et les amendes en cas d'infraction.

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    Une jeune geisha remet en place sa perruque devant un miroir dans le quartier geisha de Miyagawa-cho, à Kyoto.

    PHOTOGRAPHIE DE Jodi Cobb, Nat Geo Image Collection

    Cette nouvelle politique est la dernière des mesures par le Japon en date pour lutter contre le sur-tourisme, qui a entraîné une dégradation des infrastructures et une marginalisation des communautés locales. Mais pour comprendre cette nouvelle interdiction, il faut aller au-delà du simple nombre de visiteurs et reconnaître les siècles de sexualisation occidentale et d'effacement du contexte historique et culturel des geishas.

     

    COMPRENDRE LES GEISHAS DANS LE JAPON MODERNE

    À cause de siècles de sexualisation dans les médias occidentaux, l'image de la geisha est souvent étroitement liée au commerce du sexe. Il existe une certaine vérité historique : les geishas étaient liées aux quartiers du plaisir et, à l'époque de Tokugawa, elles se sont livrées au commerce du sexe à une époque où cette pratique était plus répandue.

    Cependant, la plupart des conceptions contemporaines à forte connotation érotique découlent d'histoires très sensationnelles racontées par des écrivains comme Arthur Golding, dont le roman Mémoires de geisha a donné le ton à la manière dont ces femmes ont été perçues en Occident pendant des décennies.

    Mais cette méprise sur les geishas les prive d'une histoire séculaire ancrée dans la culture et l'art.

    Une geisha pose avec son shamisen, un instrument à trois cordes, dans les années 1880. Les geishas et les maikos jouent traditionnellement de la musique de style kouta sur le shamisen.

    PHOTOGRAPHIE DE Charles Harris Phelps, Nat Geo Image Collection

    Des geishas divertissent des invités en jouant du koto et en chantant dans les années 1880.

    PHOTOGRAPHIE DE Charles Harris Phelps, Nat Geo Image Collection

    Des geishas se préparent pour une cérémonie de thé à Kyoto. La préparation et la présentation cérémonielles du thé sont l'un des nombreux arts de la scène auxquels s'entraînent les geishas.

    PHOTOGRAPHIE DE Eliza R. Scidmore, Nat Geo Image Collection

    Le terme geisha (芸者) met l'accent sur le divertissement, l'art et la performance. Le premier caractère, gei, est le même que celui que l'on trouve dans les mots désignant les arts (芸術), l'artiste (芸術家), les arts du spectacle (芸能), etc.

    « On ne saurait trop insister sur le fait que l'image que les geishas évoquent presque automatiquement aujourd'hui, en particulier à l'étranger, mais pas exclusivement, est plutôt irrégulière lorsque l'on tente d'historiciser le terme », explique Maki Isaka, professeur à l'université du Minnesota et spécialiste de la performance japonaise et des études sur le genre. « Geisha signifie "ce qui (sha)" fait "gei (technique artistique acquise)", un terme qui était utilisé exactement de cette manière dans le passé, mais qui était encore plus large et incluait même les pratiquants d'arts martiaux. »

    Le terme en lui-même n'est pas nécessairement genré. Les historiens notent que les premiers geishas étaient des hommes qui travaillaient pour ce qui s'appelait Edo, aujourd'hui Tokyo. « En fonction des régions, geisha en tant que terme "neutre" désignait les geishas de sexe masculin, tandis qu'un signifiant de genre était nécessaire pour désigner les geishas de sexe féminin », explique Isaka.

    Geisha n'est pas un mot monolithique, c'est simplement un mot repris en anglais ; dans d'autres villes, comme Kyoto, le terme geiko est utilisé à la place.

    Une geisha sert à boire dans une maison de thé à Kyoto en 1970.

    PHOTOGRAPHIE DE Thomas J. Abercrombie, Nat Geo Image Collection

    Le lien avec le divertissement et le spectacle est évident, même dans l'esthétique des geishas. Le maquillage blanc peint qui est si frappant se retrouve également dans le théâtre de kabuki et dans les masques blanc pâle utilisés dans le théâtre Noh.

    « Dans les publications théâtrales de l'ère Edo, de la fin du 17ᵉ au début du 18ᵉ siècle, geisha signifie généralement acteur de kabuki, alors que les acteurs de kabuki étaient des hommes par défaut à l'époque », explique Isaka.

    À l'instar des maisons traditionnelles de kabuki et de Noh, les maisons de geisha suivent un système de transmission des connaissances et des compétences par le biais de systèmes hiérarchiques qui guident les maikos, les apprenties geishas, tout au long de leur parcours.

    Ces maikos, généralement âgées de quinze à vingt ans, apprennent à célébrer la cérémonie du thé, à maîtriser l'art de la danse et de la musique dans le cadre de leur formation. Devenir geisha est un processus rigoureux qui dure près de dix ans et comprend une période probatoire, un apprentissage et une formation avant même qu'une jeune femme ne débute en tant que maiko. Une fois maiko, la formation se poursuit pour devenir geisha.

    Une geisha danse avec un éventail, une tradition qui remonte aussi au théâtre Noh.

    PHOTOGRAPHIE DE Paul Chesley, Nat Geo Image Collection

    Vue sur la nuque d'une maiko montrant le maquillage traditionnel à Kyoto en 2007. Les geishas et les maikos se distinguent par leur maquillage, leurs ornements de cheveux et les détails de leur kimono.

    PHOTOGRAPHIE DE Jodi Cobb, Nat Geo Image Collection

    Une geisha se promène dans les jardins d'un sanctuaire bouddhiste à Kyoto. Ses sandales traditionnelles à plateforme sont appelées okobo. Elles sont également portées par les jeunes filles et les jeunes femmes de tout le pays à l'occasion de certains jours fériés.

    PHOTOGRAPHIE DE Paul Chesey, Nat Geo Image Collection

    Le nombre de geishas a quelque peu diminué ces dernières années en raison de la pandémie. Le nombre de geishas dans les cinq districts de Kyoto s'élevait à 161 en 2021, et le nombre de maikos à 68. Les jeunes femmes peuvent toujours poser leur candidature pour devenir maiko, même des Américaines d'origine japonaise l'ont fait et ont partagé leur parcours sur les réseaux sociaux, mais comme dans de nombreux secteurs liés à la culture traditionnelle, l'intérêt pour cette profession stagne.

     

    LA PRÉSERVATION DU QUARTIER DE GION À KYOTO

    Bien que d'autres villes japonaises aient un passé de quartiers de geishas, Kyoto reste le principal nœud de la culture moderne de geishas.

    Il existe cinq quartiers de geishas à Kyoto, où les geishas travaillent, créant un écosystème basé sur la culture traditionnelle qui comprend d'autres entreprises qui fournissent des produits de première nécessité aux clients, notamment des maisons de thé ou des salles de banquet.

    Non seulement ces établissements ont besoin d'ingrédients pour créer des menus complets destinés aux habitués et aux touristes, mais ils ont également besoin d'artisans qui peuvent contribuer à l'entretien des bâtiments construits dans un style traditionnel, comme les fabricants de tatamis et les charpentiers qualifiés. De même, les geishas doivent pouvoir compter sur des artisans qui leur fournissent les éléments nécessaires à leur activité, tels que les kimonos élaborés et leurs divers accessoires.

    Mais ces quartiers comprennent aussi des habitants ordinaires dont la vie est souvent perturbée par l'afflux de touristes à pied ou en bus, en particulier depuis quelques années.

    L'une des plus anciennes geishas encore en activité au Japon, Ikuko Akasaka, quatre-vingt-deux ans, pratique l'art traditionnel exigeant de danser et converser avec ses clients depuis soixante-quatre ans. Ici, elle s'exerce avec son entraîneur.

    PHOTOGRAPHIE DE Noriko Hayashi, Nat Geo Image Collection

    Malheureusement, la plupart des touristes qui visitent Kyoto ne connaissent pas l'histoire des geishas, ni l'étiquette et les règles du quartier. Florentyna Leow, autrice, éditrice et conseillère de voyage de longue date basée à Kyoto, a remarqué une augmentation du tourisme dans tout le Japon au cours des dernières années, en particulier à Kyoto.

    « Il y a beaucoup plus de prises de selfies et de vidéos dans toutes sortes d'endroits, des temples aux petits restaurants, et plus de gens se promènent et parlent au téléphone » qu'avant la pandémie, dit-elle. « Cela signifie que de parfaits inconnus sont involontairement pris en photo ou filmés alors qu'ils n'ont pas donné leur accord. »

    L'interdiction des touristes à Kyoto peut sembler extrême, mais l'idée de limiter l'accès aux geishas et à leurs espaces n'est pas nouvelle. Les maisons de thé peuvent limiter le nombre de clients et même instaurer un système de recommandation : les nouveaux clients ne sont pas autorisés à entrer s'ils n'ont pas été co-optés par un client régulier ou par un tiers de confiance.

    Il est également bien connu que les geishas et les maikos observent une forme de secret professionnel, ce qui rend difficile, même pour les universitaires bien intentionnés, de recueillir des informations auprès de leurs informateurs jusqu'à ce qu'ils puissent prouver leurs bonnes intentions.

    Mais l'interdiction soulève un autre problème crucial : déterminer qui est un résident ou un touriste national et qui est un touriste étranger, non japonais. De nombreux résidents non japonais pourraient se voir interdire de poursuivre leurs activités légitimes sur la seule base de leur apparence. Une telle interdiction ne sera pas facile à faire respecter et peut être considérée comme une approche à courte vue d'un problème très réel qui n'est pas près de disparaître.

    Une joueuse de shamisen pose en compagnie deux danseuses avec éventails. 

    PHOTOGRAPHIE DE Eliza R. Scidmore, Nat Geo Image Collection

    Un panneau photo d'une apprentie geisha encadre le contenu d'une pharmacie à l'extérieur duquel il a été place, à Tokyo.

    PHOTOGRAPHIE DE David Guttenfelder, Nat Geo Image Collection

    Cet article a initialement paru sur le site nationaleographic.com en langue anglaise.

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