Pourquoi reste-t-il si peu d’obélisques en Égypte ?

Les pharaons érigeaient autrefois ces monolithes uniques en leur genre en l’honneur du dieu solaire Rê. Ces monuments ont gagné en popularité... et se sont retrouvés partout dans le monde.

De Barbara Faenza
Publication 7 sept. 2024, 09:11 CEST
Obelisks over Karnak

Deux des trois obélisques du temple d’Amon, à Karnak, s’élèvent derrière la grande salle hypostyle. L’obélisque de Thoutmôsis Ier (r. 1504-1493 av. J.-C. environ) se trouve à droite et celui de sa fille Hatchepsout (r. 1479-1458 av. J.-C.) est à gauche.

PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, National Geographic Image Collection

L’une des « aiguilles de Cléopâtre », un obélisque égyptien de 224 tonnes enrobé de hiéroglyphes, peut aujourd’hui être admirée non au Caire, mais à Londres. Les anciens Égyptiens laissèrent derrière eux un magnifique patrimoine culturel, témoin de leur civilisation trimillénaire. Il ne fait aucun doute que l’obélisque en constitue l’une des expressions monumentales les plus caractéristiques. Pourtant, il n’en subsiste que peu en Égypte de nos jours. Cette haute colonne fuselée était souvent disposée par paire devant les entrées des temples. À l’origine érigé en l’honneur du dieu Rê, l’obélisque devint rapidement populaire en Égypte et ailleurs, à la fois trésor de guerre, présent de nation à nation et morceau d’histoire que les dirigeants cherchaient à s’approprier.

Le premier étranger connu pour avoir été un admirateur de l’obélisque fut le roi assyrien Assurbanipal (r. 669-627 av. J.-C. environ). Après avoir mis Thèbes à sac en 664 avant notre ère, il en fit transporter une paire dans son palais royal de Ninive, en actuel Irak. La Rome impériale possédait plusieurs obélisques : certains prélevés en Égypte, d’autres fabriqués sur place. De nos jours, on trouve des obélisques égyptiens à New York, à Istanbul et à Paris.

Pyramidion d’un obélisque commandé par la reine Hatchepsout vers 1470 avant notre ère.

PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

Les Grecs nommèrent obeliskos ces monuments, mot qui signifie « petites colonnes pointues ». En revanche, les Égyptiens les appelaient tekhen, mot à l’origine incertaine. Généralement faits de granite, les obélisques ont une base carrée et deviennent légèrement plus étroits à mesure qu’ils s’élèvent. Leur sommet est surmonté d’une petite pyramide, le pyramidion, ainsi que les Grecs l’appelaient.

Pour refléter les rayons du Soleil, le pyramidion était parfois recouvert d’or ou d’électrum, un alliage naturel d’or et d’argent. Les Égyptiens nommaient le pyramidion benben, ce qui signifie « briller, rayonner ». Il symbolisait la Butte primordiale, le siège duquel Atoum (une manifestation de Rê) créait tout ce qui existe. On y gravait également des symboles solaires ou une image du pharaon alors en place protégé par Rê.

Sur la base de l’obélisque figuraient parfois des babouins, des animaux associés au soleil à cause des cris troublants qu’ils poussent à l’aube et au crépuscule. Sur le fût, qui soutenait le pyramidion et le hissait vers les cieux, on apposait généralement des hiéroglyphes en l’honneur du dieu auquel l’obélisque était dédié et du souverain qui avait ordonné sa construction.

 

LES PREMIERS OBÉLISQUES

Ces monuments typiques de l’Égypte ancienne apparurent au début du troisième millénaire avant notre ère dans une ville du nord de l’Égypte, centre du culte de Rê. Cette ville serait plus tard connue sous le nom d’Héliopolis, la « ville du Soleil » en grec. Quant à eux, les Égyptiens l’appelaient Iunu, la « ville des colonnes », allusion aux obélisques qui symbolisaient des rayons de soleil pétrifiés. Malheureusement, rien ne subsiste aujourd’hui d’Héliopolis, un endroit loué pour sa beauté. Ses ruines gisent sous un quartier de la ville actuelle du Caire et presque tous ses obélisques antiques ont disparu.

Dans le secteur d’Abousir, à quelques encablures seulement au sud du Caire, les souverains de la cinquième dynastie de l’Ancien Empire (2575-2150 av. J.-C.) firent construire des temples solaires. Chacun d’eux était doté d’une cour à ciel ouvert au milieu de laquelle trônait un obélisque avec, à sa base, un large autel destiné aux offrandes. Ces obélisques furent construits à partir de blocs de pierre mais ne possédaient pas encore leur forme canonique élancée. Bien que l’on cessât de construire des temples solaires après la cinquième dynastie, la tradition consistant à ériger des obélisques se propagea dans toute l’Égypte à partir du Moyen Empire (1975-1640 av. J.-C. environ).

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    Ce dessin d’Émile Prisse, réalisé en 1878, montre le piédestal ainsi que deux côtés d’un obélisque érigé par Ramsès II à Louxor. De nos jours, il se trouve place de la Concorde, à Paris.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Album

    Ce n’est toutefois qu’à partir du Nouvel Empire (1539-1075 av. J.-C.) que les obélisques atteignirent la taille pour laquelle elle sont aujourd’hui célèbres. Les obélisques du Nouvel Empire, elles aussi monolithiques, étaient plus grandes et plus minces que les versions précédentes, ce qui compliqua encore davantage leur extraction et leur érection. Les obélisques du Nouvel Empire étaient quasi-systématiquement installées par paires devant les entrées monumentales des temples, qu’on appelle pylônes, auxquelles elles conféraient une certaine symétrie. Selon l’égyptologue italien Maurizio Damiano-Appia, cet appariement a pu symboliser le Soleil et la Lune.

     

    AIGUILLES

    Il n’existe pas une seule paire d’obélisques égyptiens qui ait demeuré intacte sur son lieu d’origine. La dernière paire fut commandée par Ramsès II (r. 1279-1213 av. J.-C.) et se trouvait devant le pylône du temple de Louxor. Mais en 1830, le wali d’Égypte Muhammad Ali offrit l’un des deux obélisques au roi de France. Le monument trône aujourd’hui majestueusement place de la Concorde, à Paris, où il fut érigé en 1836.

    À l’époque du Nouvel Empire, Thèbes devint la capitale de l’Égypte et le centre du culte rendu à Amon-Rê, divinité née de l’union du dieu thébain Amon et du dieu solaire Rê. L’affinité entre ces deux divinités était telle que Thèbes était également appelée Iunu Shema’u, « Héliopolis de la Haute-Égypte ». Dans les sanctuaires thébains de Karnak et de Louxor, de nombreux obélisques furent érigés, mais seuls trois subsistent aujourd’hui : deux dans le temple de Karnak et un à Louxor. Tous les autres furent enlevés et transportés en Europe, soit durant la période impériale romaine, soit à l’époque moderne.

    Devant l’entrée monumentale du temple de Louxor, construit par Ramsès II, subsiste un des deux obélisques qui l’encadraient autrefois. À sa droite se trouve un fragment du socle qui supportait son jumeau, qui trône désormais place de la Concorde, à Paris.

    PHOTOGRAPHIE DE Marc Dozier, Gtres

     

    DU NIL AU TIBRE

    Après le Nouvel Empire, l’érection d’obélisques se poursuivit quoique à plus petite échelle. Le dernier date du règne de Ptolémée IX Sôter II (r. 116-107, 88-81 av. J.-C.), qui ordonna la construction de ces monuments pour un temple dédié à la déesse Isis sur l’île de Philae. Cela marqua la fin de la construction des obélisques sur leur terre d’origine, mais après la conquête de l’Égypte par les Romains en l’an 30 avant notre ère, ces monolithes devinrent populaires ailleurs.

    L’empereur Auguste (r. 27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) initia une tradition d’import d’obélisques à Rome qui se perpétua durant toute la période impériale. Les obélisques furent d’abord considérés comme des butins de guerre, un symbole de la domination romaine sur l’Égypte. Plus tard, quand que les cultes égyptiens gagnèrent en popularité à Rome, on les apprécia pour leur portée symbolique et religieuse.

    Les grands obélisques étaient en général placés dans des cirques romains où ils ornaient une spina, la barrière centrale autour de laquelle avaient lieu les courses de chars. Dans ce contexte, les obélisques conservaient leur lien caractéristique avec le soleil, car pour les Romains, les courses de ce type représentaient la trajectoire d’Apollon, dieu du soleil, dans le ciel. On plaçait généralement les obélisques de taille plus modeste dans des temples dédiés à Isis ou à Sérapis, divinité gréco-égyptienne. De nos jours, Rome compte treize obélisques égyptiens, soit bien plus que tout autre ville – ou pays – au monde.

    Détail d’une carte du 16e siècle de la ville italienne de Civitavecchia hébergée dans la galerie des cartes géographiques des Musées du Vatican qui montre le transport d’un obélisque par bateau. Il s’agit d’un des deux obélisques pris en Égypte par l’empereur Auguste en l’an 10 avant notre ère. Désormais connu sous le nom d’obélisque du Montecitorio, il fut d’abord ré-érigé en tant que gnomon d’un cadran solaire géant sur le Champ de Mars, à Rome.

    PHOTOGRAPHIE DE AKG, Album

     

    OBÉLISQUES DU CIRCUS MAXIMUS

    En l’an 10 avant notre ère, Auguste importa pour la première fois un obélisque d’Égypte à Rome. Celui-ci fut placé sur la spina du Circus Maximus. Cette colonne, dont la construction commença sous le règne de Séthi Ier et fut achevée sous celui de Ramsès II et de son fils Mérenptah, venait d’Héliopolis et était faite de granite rouge. Malgré ses 23,3 mètres de hauteur et ses 235 tonnes, il fut acheminé d’Égypte à bord d’un bateau d’une trentaine de mètres de long et fut exposé au chantier naval de Puteoli (actuelle Pouzzoles dans la baie de Naples), où le peuple put l’admirer.

    En 357 de notre ère, pour commémorer sa vingtième année sur le trône, l’empereur Constance II (r. 337-361) fit déplacer deux obélisques du complexe religieux de Karnak, à Thèbes. À l’origine commandées par le pharaon Thoutmôsis III (r.1479-1425 av. J.-C.), ces colonnes étaient les plus hautes du monde ; elles mesuraient près de 30 mètres de hauteur. Constance fit d’abord emmener les deux obélisques à Alexandrie et, de là, en fit transférer une à Rome pour l’installer au Circus Maximus ; le second obélisque demeura en Égypte jusqu’en 390, année où Théodose Ier décida de le faire transférer à Constantinople pour décorer son hippodrome.

    Le Circus Maximus, à Rome, tel qu’imaginé par l’illustrateur Alan Sorrel, avec l’obélisque d’Auguste placé au centre de la spina.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    Rien ou presque du Circus Maximus ne survécut au passage des siècles ; ses deux obélisques furent brisés en trois parties et ensevelis sous sept mètres de terre. On les exhuma en 1587 sur ordre du pape Sixte V. Après leur restauration, l’obélisque augustin fut installé sur la piazza del Popolo, tandis que celui de Constance fut placé sur la place située devant la basilique Saint-Jean-de-Latran.

    Au premier siècle de notre ère se dressait sur la colline du Vatican le cirque de Néron, où se trouve le Vatican de nos jours. Là, l’empereur fit exécuter des milliers de chrétiens, dont l’apôtre Pierre, après les avoir accusés d’avoir incendié Rome. Sur la spina du cirque de Néron était érigé un obélisque sans inscription importé dans la ville par Caligula (r. 37-41 ap. J.-C.) durant la première année de son règne. Selon Pline l’Ancien, érudit romain du premier siècle, cet obélisque date du Moyen Empire et avait été commandé par un fils du pharaon Sésostris Ier.

    Après l’abandon du cirque de Néron, l’obélisque demeura dressé, mais à côté de la première basilique que l’empereur Constantin avait fait construire sur la tombe de Pierre au quatrième siècle de notre ère. En 1585, le pape Sixte V décida de déplacer l’obélisque devant la nouvelle basilique Saint-Pierre. L’architecte Domenico Fontana en orchestra l’enlèvement, une opération qui eut lieu en 1586 et qui nécessita 900 ouvriers. Une croix fut placée au sommet du monument nouvellement positionné. L’obélisque, présent lors du martyre de saint Pierre, se trouve désormais devant la basilique qui porte son nom et qui symbolise la victoire de l’Église sur le monde païen.

    Au 19e siècle, la tradition romaine du transport d’obélisques depuis l’Égypte reprit. Mais cette fois-ci, les monuments faisaient office de présents. Le gouvernement égyptien sépara une paire d’obélisques connus sous le nom d’« aiguilles de Cléopâtre » et les fit envoyer à New York et à Londres depuis Alexandrie. L’un des obélisques de Louxor fut offert à la France et installé place la Concorde, à Paris. On construisit également de nouveaux obélisques, comme le Washington Monument, à l’aide de techniques et de matériaux modernes. Cinq fois plus haut que ceux de l’Égypte des pharaons, cet obélisque installé dans la capitale américaine symbolise le respect d’une nation envers ses Pères fondateurs. Le désir continuel de se doter d’obélisques dans le monde témoigne de la fascination qu’ils exercent et de l’influence plurimillénaire de l’Égypte.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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